lundi 12 mai 2014

Montréal et Québec «cités-États»: la faveur populaire, mais à quel prix?

Ainsi donc, les Québécois seraient plutôt en faveur de l'axe CODERRE-LABEAUME (maires des deux principales villes) pour un statut particulier avec plus de pouvoirs pour les villes de Montréal et Québec qui deviendraient une sorte de «cités-États».  Les nuances s'imposent pour ne pas sombrer dans la totale illusion. Comme on dit pour protéger les consommateurs, quand c'est «trop beau pour être vrai», c'est généralement que c'est faux. L'ouverture si rapide d'un gouvernement PLQ, quelques jours après  son élection, pour deux cités aux pouvoirs considérablement élargis, sont à mon avis, les indices plus que possibles de ceci : un plan où les stratèges du parti au pouvoir voient quelques coups en avance, sur les deux maires en foire. Rapidement, on peut voir au moins 4 problèmes réels ou prévisibles. Mais il faut aussi aborder la question incontournable: Quel est donc l'avantage du gouvernement du Québec pour se montrer si ouvert et si rapidement, suite à son élection? (dernière modification : 15 mai 2014, 18:48)

Mais avant, voici quelques chiffres
  • Dans la région de la ville de Québec (le Québec métropolitain), selon le Journal de Montréal / Journal de Québec, 66% (les deux tiers) des répondants sont en faveur d'un statut particulier aux pouvoirs élargis pour la Métropole et pour la capitale du Québec. 
  • Pour la région métropolitaine de Montréal, ce pourcentage descend autour de 58% (env. 6 personnes sur 10).
  • Globalement pour la province, l'approche des deux villes aux pouvoirs augmentés reçoit l'appui de 53% des répondants (env. 1 personne sur 2)

Au premier-plan au centre-gauche de la photo, l'Hôtel de ville (mairie) de Québec et ses pignons verts, faisant face à l'Édifice Price (une tour à bureau), achevé en 1930. À l'extrême-gauche avant, à côté de l'Hôtel de ville, une partie de l'édifice du ministère des Affaires municipales du Québec. À l'arrière-plan, le Fleuve Saint-Laurent en front du Port de Québec. Photo: Gilles B. | YapasDePRESSE.blogspot.com, octobre 2009.

Le ou les problèmes prévisibles

Premièrement, les sondés tiennent-ils compte du fait que c'est un changement pour des décennies? Plusieurs personnes préfèrent y voir une approche temporaire ou facilement réversible, adjointe d'une sorte de droit de retrait. Erreur, du moins jusqu'à preuve du contraire. À moins que ce soit là, la vision du gouvernement: un pouvoir transitoire (ex. sur 5 ans), le temps pour les villes d'imposer certains coups de barres dans leurs finances, notamment et surtout, face à leurs employés et aux syndicats. Mais les maires demandent plutôt des pouvoirs accrus ET permanents.

Deuxièmement, Toronto a vécu une transition du genre qui s'est surtout soldée par de nouvelles taxes. La grande ville canadienne a aussi implanté d'autres politiques impopulaires proches de l'idéologie. Le résultat du City of Toronto Act? Insatisfaction croissante et taxes, sans oublier la popularité incroyable d'un maire à la rescousse, en la personne de Rob FORD, incarnant le renversement de la tendance fiscale à la hausse. Même en proie à la toxicomanie et à des frasques comportementales, ce dernier est demeuré populaire et a conservé un potentiel électoral. Plusieurs Torontois préfèrent n'importe qui, à un partisan des grands projets ou idéaux verts, adjoints d'augmentations des taxes foncières ou autres. C'est peu dire. Bref, ce qui était présenté comme un idéal allant de soi avec les nouveaux pouvoirs pour Toronto, est plutôt devenu un mauvais rêve.

Troisièmement, soyons réalistes, la formule de villes aux pouvoirs comparables à une «cité-État» ne connaîtra pas que des mandats avec des bons maires, mais aura à composer aussi avec de moins bonnes administrations, sinon carrément mauvaises. C'est l'histoire de la vie municipale. Les élus des deux villes ne feront pas nécessairement mieux que ceux du gouvernement de la province. C'est cela la réalité, et un mandat, ça peut être long et renouvelé. Un ou deux mauvais mandats pourront détruire l'effort précédent.

Quatrièmement, il faudra compter aussi avec les idéologies et modes diverses, dans un Québec en pleine polarisation des idées et sous une telle administration municipale sans contrepoids gouvernemental suffisamment fort de la province. Les deux villes aux pouvoirs augmentés seront en meilleure position pour enfoncer leurs projets dans la gorge de leurs citoyens, avec les coûts qui vont avec. L'on pourra voir grand, mais pour ce faire, il faudra manger beaucoup, voire dévorer les dollars, et les dollars de qui? Ceux des contribuables et probablement ceux des employés municipaux qui risquent de devenir des cibles par excellence. Comme projets coûteux, on peut penser par exemple, à des équipements dont la majorité des citoyens ne voudraient pas (comme l'anneau de glace à Québec, ou des jeux olympiques, ou un tramway, etc.) mais qu'ils devraient assumer en votant pour un candidat faisant la promotion de l'un ou l'autre, faute d'alternative au maire sortant lors d'une course électorale et surtout, parce que la ville aurait moins besoin de l'appui de la province. Nous savons que certains maires, lorsqu'ils sont élus, prétendent que les électeurs appuient la totalité de leurs projets, alors que la réalité est beaucoup plus nuancée. Il se croit bien malin, celui qui prétend savoir ce qui est dans le cœur de ses citoyens.

«Potentiel explosif» (selon Karine GAGNONau sens politique du terme 

Même une chroniqueuse du Journal de Québec, connue pour son fort appui au maire de Québec, décrit le nouvel «équilibre» en ces termes:
«On savait déjà que l’axe Coderre-Labeaume détenait le potentiel d’une véritable machine de guerre, mais lorsqu’en plus leurs demandes communes bénéficient d’un appui massif de la population, il y a de quoi faire trembler le gouvernement» (2).
Tout cela, sous le titre de chronique suivant: «Potentiel explosif». On ne pouvait mieux décrire les enjeux pour un gouvernement qui doit constamment négocier avec les villes (ex. réalisation ou financement d'infrastructures). 

UNE QUESTION INCONTOURNABLE : Quel est donc l'avantage du gouvernement du Québec pour se montrer si ouvert et si rapidement?
Je risque une réponse. En cédant des pouvoirs aux deux premières villes, le gouvernement du Québec serait tenté de garder une partie du budget ainsi récupéré (car une partie devenant non investie pour ses deux premières villes). En lisant un article-bilan sur le Star, il semble que ce soit ce qui est arrivé à Toronto depuis 2006. La plus grande ville du Canada s'attendait à de nouveaux pouvoirs de taxer (produits et services) et même d'imposer sur le revenu ou d'avoir accès à cet argent, comme une province, mais elle a dû se contenter, en plus des taxes foncières, d'outils fiscaux plus modestes (3).

Ne soyons pas dupes

Quel serait à mon avis l'objectif du PLQ avec une approche de «cités-États» dans ses cartons? Ma réponse, en termes bruts : réduire ses dépenses et «pelleter» au niveau inférieur une partie de la facture jusque là assumée par la province. Ce sera alors aux administrations municipales des deux principales villes du Québec d'assumer une partie de la hausse des coûts, tout en réduisant le poids des dépenses et responsabilités de la province, comme par exemple, en payant une partie des autoroutes, des ponts, des équipements et services comme le transport en commun, des équipements sportifs et culturels (arts et spectacles), etc. Une nouvelle forme de dépenses d'agglomération. Il me semble en effet improbable, que plus de pouvoirs cédés aux deux plus grandes villes du Québec, puissent signifier uniquement des avantages pour celles-ci et rien pour le Gouvernement. Les libéraux du Québec savent trop calculer pour cela. Prenons pour exemple concret l'amphithéâtre. Dans le contexte d'une telle «cité-État», le projet d'amphithéâtre sportif et multifonctionnel n'aurait pas reçu 200 millions $ du Gouvernement du Québec, mais la ville aurait dû allonger elle-même, une partie additionnelle en vue de ce montant. La «liste d'épicerie» d'un super-maire serait ainsi maintenant assumée en partie par sa cité. De quoi restreindre les ardeurs... et la longueur de sa liste d'épicerie lors des élections de provinciales.

Car selon ce qu'on sait de par CBC, plusieurs élus du PLQ savent compter (le graphique présente les candidats avant la dernière élection du 7 avril 2014). L'ouverture si rapide de ce gouvernement, quelques jours après l'élection, pour deux cités aux pouvoirs considérablement élargis, sont à mon avis, les indices plus que possibles d'un plan où les stratèges du PLQ voient quelques coups en avance des deux maires en foire. Mais les lendemains, 10 ans plus tard, pourraient être beaucoup moins drôles pour les contribuables qui , devant une multiplication des ponctions fiscales, se tourneraient alors vers la province pour dire «sauve-nous!». Mais la chose ne sera pas aussi facilement réversible; reprendre des pouvoirs, sans reprendre aussi l'argent qui y est associé, ce n'est pas le genre d'un gouvernement sachant calculer.

Tout compte fait, les «super-villes» des «super-maires» pourraient ne pas être supers pour les contribuables déjà étranglés, dont les revenus n'augmentent pas au rythme des hausses du coût de la vie.

AUTRE TEXTE :  Québec: les «cités-États», les «vaisseaux-maires» et la Voie taxée
(samedi 3 mai 2014)

_______________
1.  Sondage réalisé par Léger Marketing, entre le 28 avril et le 31 mai 2014

2.  Karine GAGNON. Potentiel explosif. Journal de Québec. Lundi 5 mai 2014.
http://www.journaldequebec.com/2014/05/05/potentiel-explosif   (lien consulté le 6 mai 2014).

3.   Rachel MENDELSON. Big Ideas. The law said we could think big. So why didn’t we? TheStar.com / Totonto Star.  Dimanche le 2 mars 2014.
«Among the revenue-generating tools the city asked for but did not receive is the ability to impose income tax and sales tax — the latter of which [Councillor Shelley] Carroll believes is “the one big, glaring omission from the City of Toronto Act.”
“Cities hit a wall where you should not be relying on property tax for half of your operating budget,” she said. “You should have a more diversified stream.”
Instead, the Act gave the city a package of smaller fiscal tools, in addition to the land-transfer tax and vehicle registration tax, as well as so-called “sin” taxes on alcohol and tobacco, neither of which have been introduced».