samedi 26 mai 2012

L'après-crise étudiante et ses maux de tête

PRENEZ ASSÉPIRIN ! Ou un autre acide ASSÉtylSALIcylique (acétylsalicylique) ou de l'ASSÉtaminophène (acétaminophène).

Le problème avec l'actuelle crise basée soit-disant sur les frais de scolarité  (sco-hilarité car ce n'est pas la cause principale qui a déclenché les hostilités de l'ASSÉ syndicaliste, mais  l'anticapitalisme), c'est que la classe moyenne se fait berner. Les étudiants auraient dû accepter les offres du 5 mai 2012, qui bonifiaient celles déjà intéressantes du 27 avril. Si la classe moyenne (les parents) avait eu droit de vote sur l'offre, celle-ci aurait passé haut-la-main. C'était une offre gagnant-gagnant, alliant indexation des frais et soutien adapté aux besoins. Résultat du rejet de l'offre : la société québécoise s'est embarquée dans une galère. Même le gel des frais ne suffit plus. Comble de l'illogisme, il y a des gens qui manifestent côte à côte et qui ne sont pas d'accord entre eux sur nombre de points, sans même le savoir. Pourquoi? Parce que les manifestations ont démarré et persisté avec un enjeu beaucoup plus grand que les frais de scolarité post-secondaires.

ASSÉPIRINE aide à soulager les maux de tête
causés par l'anarchisme et les idéologies très
résistantes. Crédits: Gilles B/YapasdPRESSE
26 mai 2012.
Ces groupes qui ont lancé les hostilités ont de quoi donner mal à la tête. Et les partis qui rêvent de prendre les commandes de ce Québec-là, évaluent mal les enjeux idéologiques qui le déstabilisent depuis plus de 100 jours. L'ouverture et la liberté imposent-elles d'être sans défense ou idiots? Si nos corps étaient sans mécanisme de défense, l'espèce humaine aurait disparu, car nous serions morts dès notre première année de vie. De même, dans nos sociétés, nous devrions préserver des mécanismes de défense contre des systèmes étrangers.

Déjà, L'ASSÉ avait refusé de participer aux consultations de la  nouvelle ministre de l'Éducation du Québec en 2010 et avait même occupé les locaux de cette dernière; intimidation avec vandalisme, rien de moins! En avril et mai 2012, le même porte-parole sous la Coalition large de l'ASSÉ (CLASSÉ), extension temporaire créée spécifiquement contre la hausse des frais et pour la "grève" générale (1), avait l'arrogance de défier le gouvernement de "dialoguer".

Le vrai déclencheur = le rejet du "système" 

Le vrai déclencheur, c'est  le rejet du système dans son ensemble. Oui mais lequel? Dans les faits, la contestation se modifie au jour le jour, comme un virus en mutation.

Mais déjà, dans son discours du 7 avril dernier, le plus connu "porte-parole" de la CLASSE a confessé que même dans une ère post-Charest (même après le PLQ au pouvoir), la bataille de l'ASSÉ (vaisseau mère de la CLASSÉ) persistera.

«Notre grève c'est pas l'affaire d'une génération, c'est pas l'affaire d'un printemps. C'est l'affaire d'un peuple.  C'est l'affaire d'un monde.
Notre grève c'est pas un évènement isolé. Notre grève c'est juste un pas, c'est juste une halte, le long d'une route beaucoup plus longue.
Notre grève, elle est déjà victorieuse [...] parce qu'elle nous a permis de voir cette route-là; celle de la résistance.
Il est là le vrai sens de notre grève. 250,000 personnes ça sort pas dans la rue parce que ça ne veut pas payer 1625 dollars de plus.
Il est là le sens de notre grève, dans la durée, dans la poursuite demain de la désobéissance. Nous avons planté ce printemps, les graines d'une révolte qui ne germera peut-être que dans plusieurs années.»
(Gabriel Nadeau-Dubois, de la CLASSÉ, Coalition large de l'ASSÉ, extrait du discours Nous? du 7 avril 2012), (2).

Ce «demain» et ce «plusieurs années» projettent incontestablement jusque dans l'ère post-Charest. C'est le carburant de l'ASSÉ qui est en guerre contre le capitalisme et contre notre forme de démocratie. La vraie cause pour eux, ce n'est pas les frais de scolarité, mais "le système" au grand complet. Les madames et les enfants qui manifestent avec le sourire en tapant sur des casseroles ne savent pas dans quelle engrenage idéologique (anarcho-syndicalisme et anarcho-communisme) nous avons mis le pied.

Car les causes qui se côtoient dans la rue ne sont pas toutes égales et pacifistes. Le gentil panda (mascotte apparue récemment sur l'intiative d'un prof de philosophie) porte le nom d'Anarchopanda (anarcho de anarchie ou anarchisme). De tels groupes sont entre autres pour l'abolition de la propriété privée et du salariat (autrement dit, les plus vaillants travailleront pour les autres). Mais ils sont suivis par les autres associations étudiantes et maintenant par des gens qui ne voudraient pourtant PAS voir notre système verser dans l'anarchie ou la guerre idéologique permanente déjà débutée.

Romantisme et idéalisme

Et il y a beaucoup de romantisme et d'idéalisme juvénile dans ce que nous voyons et entendons. Que ferait par exemple un système de type démocratie participative, lorsque 65% des gens seraient pour une solution à un problème important soumis et 35% pour son contraire? La même logique résistante propre à leur médecine actuelle légitimerait les minoritaires à se révolter et à descendre dans la rue. Sauf que rien n'indique que ce nouveau régime leur laisserait à ce moment-là cette liberté

Lorsque le tsarisme a été renversé en Russie au début du 20e siècle, la censure devait être temporaire, pour une période transitoire, puis elle s'est institutionnalisée et est devenue partie intégrante du nouveau régime. C'est la manière de procéder de ces idéologies de "liberté". Même aujourd'hui, deux décennies après l'éclatement de l'URSS, la liberté de presse et les manifestations sont strictement encadrées. La même censure a prévalu dans tous les régimes du genre; censure des médias, fermeture des plus résistants, arrestations politiques, et même assassinats.

Les pourvoyeurs (travailleurs) et parents : les moins disponibles pour voter et faire valoir leurs opinion

Dans une pseudo-démocratie de la rue ou démocratie participative aux consultations multiples et perpétuelles, ceux qui travailleraient le plus pour soutenir financièrement le système (ceux qui paient pour les autres) et qui auraient le plus d'enfants sont inversement ceux qui auraient le moins de temps pour participer la vie politique de tout instant ou toute heure, exigée par ce genre de système utopique. Et les groupes d'intérêt les mieux organisés se lanceraient d'assaut, comme une volée d'oiseaux pour voter  ("vite, allez voter!"). Une texto-démocratie. Quel cauchemar!

La rue, mais pour quelle cause?

L'Autre problème majeur, c'est que l'assaut de la rue s'est étendu à toutes les insatisfactions et leur contraire. Dans les anciennes royautés, quand un leader voulait remplacer ou renverser un roi, ou quand l'un des aspirants au trône voulait jouer du coude contre les autres héritiers (ex. ses demi-frères), il s'arrangeait pour assembler à son projet, toutes les causes contre le système paternel. La même approche du "tout-venant" profite actuellement aux plus radicaux. Elle leur donne du "carburant" en terme de masse populaire (volume de critique dans la rue et dans les médias, particulièrement Radio-CadenasCanada et réseaux sociaux). 

Voici une liste de revendications diparates que l'on peut déjà identifier dans la rue et sur les blogues ou opinions des lecteurs
  • Rejet du gouvernement Libéral (PLQ) de Jean-Charest (ça se comprend)
  • Perte de confiance dans tous les grands partis politiques
  • Rejet du capitalisme sous toutes ses formes
  • Rejet de certaines pratiques du capitalisme; le capitalisme sauvage, les travers de la mondialisation, etc.
  • Rejet de la démocratie et du système parlementaire dans sa forme actuelle. Tout ce qui est institutionnel est mauvais pour une certaine tranche de manifestants.
  • Perte de confiance dans le système de justice; souvent non accessible à la classe moyenne ou rejet de la justice purement et simplement
  • Septiscisme face à toute institution qui exerce une autorité
  • L'anarchie; renverser ou même faire table rase pour reconstruire
  • Militantisme socialiste ou communiste sous diverses déclinaisons (et interconnexion avec l'anarchisme)
  • Réponse par l'anarcho-syndicalisme ou l'anarcho-communisme
  • Les causes environnementales (contre les gaz de schiste ou de shale, contre le harnachement des rivières et l'électricité, contre la surproduction et surconsommation, contre les centrales nucléaires, contre l'automobile, ...
  • Rejet de la loi 78 visant à encadrer les manifestations et ceux qui les organisent et y participent
  • Revendications sociales diverses et même par moment en compétition entre elles, mais qui profitent ou sont affectées au rythme des coupures budgétaires; lien commun = le besoin d'argent et de pouvoir continuer de manifester sans préavis
  • (...) Autres, la liste n'est pas exhaustive.

Déjà, dans son discours du 7 avril dernier, le plus connu "porte-parole" de la CLASSE a confessé que même dans une ère post-Charest (même après le PLQ au pouvoir), la bataille de l'ASSÉ (vaisseau mère de la CLASSÉ) persistera:
«Nous avons planté, ce printemps, les graines d'une révolte...» (Gabriel Nadeau-Dubois, extrait du discours Nous?, 7 avril 2012).

Identité d'un peuple

Un autre problème, c'est notre fragilité en tant que peuple minoritaire dans un occident instable à l'équilibre fragile. La réaction d'un peuple minoritaire en Amérique, comme les Québécois francophones, c'est que l'on observe où va le vent et que l'on tend à suivre la foule. Cette solidarité spontanée est une sorte de mécanisme de défense contre un danger plus ou moins identifié. Les Québécois francophones installés ici depuis des générations ne veulent pas se retrouver divisés entre eux ou pire: ne veulent pas disparaître. C'est ce que constate aussi l'historien québécois Éric Bédard (3).  

Mais l'anarchie n'a pas cette préoccupation. Il y a donc une bonne part d'inconnu dans la suite des évènements du Québec.

L'après-crise étudiante

Lorsque les étudiants étudieront de nouveau plutôt que de se prendre pour nos Avengers ou nos Jedi (Star Wars), il restera encore que le problème de toutes les insatisfactions interconnectées ou même contradictoires demeure, latent, mais présent. Ce serait la division la plus nuisible que le Québec puisse imaginer. Le gouvernement qui pourrait succéder au gouvernement Charest ne l'aura pas facile. Le conflit a fait resurgir en public, des forces qui étaient méconnues ou banalisées comme marginales; par exemple, le grand nombre d'enseignants qui sont beaucoup plus à gauche et contre notre système actuel que ce que l'on pouvait croire. Cela dépend en partie de la formation qu'ils reçoivent. Et c'est très inquiétant pour l'accès à une éducation non biaisée idéologiquement.

Le piège, c'est en partie les solutions faciles et romantiques 

Par exemple, les syndicats sont de la même nature en partie corrompue que certains élus. S'il y a une chose qui survit, mais sous diverses formes dans les changements de régime politique, c'est la corruption, le copinage avec le pouvoir, une élite qui prend le pas sur les intérêts communs. Cela a existé et existe dans le communisme et le socialisme, au même titre sinon davantage, que dans notre social-démocratie de type capitaliste, parce que là, faire du profit honnêtement, n'est pas l'incarnation du mal. Il faut que notre jeunesse comprenne que la corruption  n'est pas dans le business de la vérité et de la justice, mais dans la motivation ultime de l'argent facile. Ainsi, elle a déjà infiltré autant les syndicats que les partis politiques. Alors un changement sociopolitique fondé sur le syndicalisme et plus communiste ne serait pas moins corrompu. Le vingtième siècle est le meilleur témoin, là où de telles solutions ont été appliquées, et où la classe moyenne a disparu au bénéfice d'une classe pauvre élargie (une "coalition large" de pauvreté), et d'une classe riche rétrécie.

Pensée : «Les besoins sont illimités. Les moyens ne sont pas illimités». Gilbert Rozon de Juste pour rire, en entrevue à V, où il était interviewé par Martin Pelletier à l'émission Dumont, le ou vers le 22 mai 2012.


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1.  CLASSE ou CLASSÉ = Coalition large de l'ASSÉ














2.   NOUS? Gabriel Nadeau-Dubois (Intégral)
discours Nous?, 7 avril 2012



3.  Éric BÉDARD. Recours aux Sources. Essais sur notre rapport au passé. Éditions Boréal, 2011.
Notamment, le chapitre Dégénérations ?