dimanche 1 décembre 2019

Jérémy gagne une nouvelle étape contre Mike Ward

Jérémy Gabriel a remporté une nouvelle étape, en Cour d'appel du Québec, dans la cause contre l'humoriste trash, Mike Ward. L'humoriste se dit prêt à aller jusqu'en Cour suprême du Canada. Regarder cette cause comme un problème de censure et de liberté d'expression uniquement est un angle habile, mais biaisé, à mon avis. Où finit l'humour et où commence le harcèlement? En fait, la réponse pourrait être beaucoup plus simple qu'on le croit.


Contexte de départ


Jérémy est atteint du syndrome de Treacher Collins. Ceci, entre autres:

  • lui a amené une malformation au niveau de la boîte crânienne 
  • et lui a aussi provoqué une déformation au niveau de la voix 
Enfant, il rêvait de chanter. Il a obtenu audience auprès du pape, et il a été encouragé par ses proches à croire à son rêve. Mais la capacité naturelle était sérieusement handicapée. 

Le point de vue de Mike Ward

L'humoriste provocateur, Mike Ward, vers 2015


Pour Mike Ward, le fait que Jérémy Gabriel (d'âge mineur au moment des faits reprochés à l'humoriste) n'ait pas une capacité naturelle en chanson et que l'on lui donnait beaucoup de place, justifiait à le ridiculiser dans ses spectacles provocateurs. Il déclare d'ailleurs qu'il ne paiera pas 35,000$ en dédommagement pour «une joke» (Journal de Montréal, 28 nov. 2019).

Une joke? Pas tout à fait, car le mépris public s'est étendu sur  en plus de capsules publiées sur le web.

Je résumais les faits à une jeune femme, et elle a eu deux remarques:
1) «Il manquait vraiment d'inspiration. Il n'est pas très bon, pour ne pas trouver autre chose à dire».
2) «Il y a deux choses: l'humour et la moquerie. Ça ce n'est pas de l'humour, c'est de la moquerie».

Plus qu'une joke !

Le Journal de Montréal nous rappelle que le spectacle mettant en scène le monologue sur le jeune handicapé a perduré durant un grand nombre de spectacles:
«Cette décision de la Cour d’appel est un nouveau revers pour l’humoriste qui s’était moqué de Jérémy Gabriel lors du spectacle Mike Ward s’eXpose, présenté 230 fois entre 2010 et 2013» (Journal de Montréal, 28 nov. 2019). 

Alors que Jérémie est encore d'âge mineur, Mike Ward intègre son cas à sa tournée de spectacles en 2010, ainsi que par des capsules sur le web, pour amuser ses fans. En bref, Ward prétend, dans le personnage de sa mise en scène que le petit Jérémy a la tête comme un «subwoofer». Les années de compassion sont terminées car, se dit-il, je me disais «il va mourir» et il faut le laisser vivre «son rêve». Mais Ward, le personnage du spectacle, se rend compte, cinq ans après la visite de Jérémy à Rome, devant le pape, que le jeune ne meurt pas et qu'il ne chante pas bien. Exaspéré, il «espère» sa mort (fiction dans le contexte du personnage évidemment). La tolérance et la défense du «petit Jérémy» par le personnage du monologue était sur la base qu'il allait bientôt mourir: «Moi j'te défends, toi tu crèves!». Telle était la condition. Le monologue se fait au grand plaisir de son public alternatif (1). Sur le web, il poursuivait sur son cas, avec une figurine représentant l'adolescent handicapé. 

Un rappel des faits dénoncés initialement par une amie de Jérémy, à la Commission des droits de la personne

Jérémy, plus jeune, alors qu'il était porte-parole pour les hôpitaux pour enfants des Shrinners


La caisse de l'humoriste teinte à mesure que l'argent s'y engouffre. Mais Jérémy ne touche pas 1 dollar, il ne touche que le fond... 


À l'hiver 2012, il pense mettre fin à sa vie. Jérémy souffre avec sa famille. Il ne comprend pas au départ, prétend-il, pourquoi certains jours précis, son compte Facebook se remplit de commentaires haineux, voire des invitations à disparaître. Vérification faite, ces rafales d'insultes correspondraient aux prestations publiques de Ward. 

Une amie de Jérémy Gabriel décide alors de déposer une plainte à la Commission des droits de la personne, selon un extrait Facebook 



Peut-on insulter l'honneur d'une personne qui a une certaine influence, sur la base de capacités naturelles évidemment limitées?


Il semble que les proches de Jérémy aient fait un peu trop de renforcement positif pour pousser le jeune à poursuivre son rêve d'un carrière en chanson. Que les capacités ou le talents ne soient pas au rendez-vous, cela justifierait-il de le mépriser en public, résultant par ce qui a les allures d'un processus de harcèlement par la ricochet? Un handicapé doit-il prendre son trou? Si c'est le cas, les Jeux Paralympiques sont-ils une grosse farce?

Ceci amène à se poser la question. Où finit l'humour et où commence le harcèlement? En fait c'est peut-être plus simple qu'on peut le croire

Certaines personnes des médias prédisent la victoire de l'humoriste en Cour suprême, sur la base de la liberté d'expression. C'est loin d'être sûr, car l'humour n'est pas un prétexte à violer les droits des chartes et des lois. 

Essayez par exemple de lâcher la blague suivante dans un aéroport international: 
«Salut Messieurs les agents de l'aéroport! J'ai une bombe dans mon bagage! 
Je vous ai eus; c'est une blague... Hé! Hé!»

L'humour peut-il justifier de priver une personne de ses droits?

Comment régler le problème plus simplement? À quel moment l'humour (ou pseudo-humour) ou une parole, deviennent-il du harcèlement? Voici, il me semble, comment nous devrions voir la chose. Si Jérémy avait accepté avec une certaine complicité volontaire, il n'y aurait probablement pas de cause. Même chose, si Jérémy avait bénéficié d'une forme d'entente rémunérée (ex. je te paie ton université et on rend évident au public que l'on est complice). Imaginez qu'il y ait une forme de complicité amicale. La question de la poursuite légale ne se pose pas à mon avis personnel, car la sensibilité varie d'une personne à l'autre. Imaginez maintenant que Jérémy a demandé d'arrêter, mais que la chose s'est poursuivie. À ce moment-là, cela devient clairement du harcèlement. Ici en plus, c'est du harcèlement à des fins financières, qui a rapporté à Mike Ward, certainement bien plus que les maigres 35,000 dollars ($) symboliques réclamés.

Appliquons le cas avec un autre Jérémy adulte, en milieu de travail

Imaginez que des collègues de travail se mettent à taquiner un autre Jérémy adulte sur son apparence, sur son ethnie, sur la couleur de sa peau, ou sur un certain handicap, et que ce dernier le prend comme le fait de faire partie d'une équipe, et surpasse le tout, étant capable de rendre la monnaie de la pièce. Au final, les collègues se voient en dehors du travail et il s'est installé une camaraderie, comme chez des adolescents qui se parlent parfois assez durement, mais qui sont ensemble, d'égal à égal. La question de la poursuite légale ne se pose probablement pas. Imaginez maintenant un collègue moins habile dans ses relations, qui a un vécu plus complexe (rejet parental, historique de familles d'accueil au pluriel) et qui a des difficultés à entrer en relation avec les autres. La situation est très différente. Lorsqu'ils refusent de cesser leurs pratiques, les taquineries deviennent un cauchemar faisant une victime. Et il peuvent vivre une réaction assez violente, ou provoquer la dépression et l'isolement.

Le consentement et l'entente dans un cadre reconnu par les deux parties

Bref, se peut-il qu'il en soit du consentement à une forme de taquinerie, comme du consentement à un flirt ou carrément sexuel? À partir du moment où une personne exprime clairement son refus, l'insistance répétée devient du harcèlement. Nous savons aussi par expérience, que des individus mettent sous le couvert de l'humour, des relations empoisonnantes. Un certain Negan, toujours souriant mais toxique, vous dit peut-être quelque chose... Il y a des Negan qui ne tuent pas avec une batte de baseball, mais avec la langue.

Proposition simple

La taquinerie, l'ironie, et les attitudes semblables, deviennent du harcèlement, quand une personne réelle, nommée (au Canada on parle dans cette cause des droits de la personne), demande clairement à l'autre d'arrêter; qu'elle lui exprime que cela l'affecte personnellement et que l'autre persiste au fil des jours. Dans le cas de Mike Ward, il pourrait y avoir au moins deux facteurs aggravants: 

  • Jérémy est mineur au moment des faits et ne peut pas facilement s'opposer financièrement, ni moralement, à un humoriste millionnaire. Le fait que les parents n'aient pas droit à un dédommagement financier selon le dernier jugement en Cour d'appel, démontre que ce sont les droits de la personne qui sont ici adressés, et non les droits de la famille dans une cause civile, où par exemple, des parents poursuivraient pour remboursement de soins médicaux. C'est une amie qui a initié la poursuite en faveur de Jérémy, pas les parents pour des dépenses et pertes de revenus pour aidants naturels. Ces derniers et leur fils auraient le droit de le faire.
  • Deuxièmement, la forme de harcèlement ou l'humour provocateur, se fait publiquement, avec insistance, dans le but de toucher des revenus (un monologue spécifique répété et des publications web).

Selon le droit au Canada, chacun a droit à sa réputation. Attaquer vicieusement le nom d'une personne, son identité, c'est du même niveau qu'attaquer une marque. La personne plus faible ou vulnérable n'a pas moins de droits que la personne intimidante qui a beaucoup de supporteurs, ou qui est beaucoup plus forte en caractère ou psychologiquement.

Ce qui me porte à conclure, contrairement aux radios de Québec, que regarder cela comme un problème de censure et de liberté d'expression uniquement est un angle habile, mais biaisé à mon avis.

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1.  Imaginons (humour), un «syndrome de Mike Ward» (fictif). On pourrait le définir en ces termes: Syndrome de Mike Ward: Dysfonction des émotions selon laquelle les fans d'humoristes trash, n'éprouvent pas d'empathie, de compassion. La maladie rend incapable de se mettre à la place de l'autre et de voir qu'il peut avoir des besoins et souffrir, même lorsqu'il s'agit d'un enfant. Individuellement, les personnes atteintes du syndrome peuvent sembler tout à fait normales. En groupe, elles adoptent un comportement tribal d'agresseurs. 
La trouvez-vous drôle?