mardi 15 janvier 2013

Papi est mourant mais il sait compter et «mourir dans la dignité»!

Papi est-il autonome, ou est-il sénile? Tout dépend de qui pose la question. Mourir dignement, ce serait à ce que je comprends, sans couches pour incontinent et sans avoir à se sentir faible et vulnérable. Mourir debout avec une seringue au bras.

13 mars.
Philippe (papi Phil) a reçu un dur diagnostic. Le Dr Robert lui donne environ trois à six mois à vivre. Il refuse la chimio qui pourrait lui procurer quelques sursis additionnels, mais non sans de grands inconforts, vu son âge avancé de 76 ans et son état plutôt frêle, avec un cœur déjà fragile.

2 avril.
Papi Phil a parlé sérieusement avec son médecin. Avec le soulagement des soins ajustés au jour le jour, il espère se rendre le plus loin possible pour revoir ses frères et sœurs et particulièrement ses petits enfants et revivre une dernière fois certains évènements et un dernier été. Tout son monde a appris la nouvelle maintenant. Ce fût pénible pour lui, mais un soulagement, maintenant qu'ils savent. C'est dur de dire qu'on part... pour toujours.

Il rêve de se réconcilier avec une de ses sœurs. Aurélie et lui ne sont pas parlé depuis 6 ans, pour une affaire d'endossement de prêt qu'il a refusé au fils de celle-ci. Il serait temps de passer à autre chose. Elle lui manque. Comme ils auraient des choses à se raconter pour reconstruire un pont brûlé.

10 mai.

Papi Phil requière un suivi quotidien qui lui coûte cher. À Lui, car dans les faits, il a eu le privilège d'avoir un assez bon emploi, mais surtout, il a géré sagement. Sauf pour le golf. L'année de ses 67 ans, il a vendu sa maison pour un condo près du club de golf. Et il possède encore un chalet en surplomb du Fleuve-Saint-Laurent, où il a adoré passé ses weekends d'étés de retraite. Aujourd'hui, ce sont ses fils qui en profitent en occupation partagée. Ses affaires personnelles sont presque toutes dans son condo mis en vente. Et il lui reste les économies, qui lui ont permis de réserver sa place dans cet institut de santé privé qui lui facture quelques milliers de dollars par mois. Mais il est traité comme un dignitaire; que dire, comme un gouverneur.

24 et 25 mai.
Ses fils sont encore venus le voir, chacun leur jour. «Encore», pense-t-il, parce que c'est ce qu'il ressent; être un poids de conscience pour ses deux fils. Ces derniers donnent des indices, de se sentir obligés de le visiter, cela devient de plus en plus difficile à cacher. Il a même cru surprendre une conversation dans le couloir, une semaine plus tôt, mais non, ça ne se peut pas que... Il se souvient pourtant, bien malgré lui, que quelques jours après l'annonce de sa maladie, ces derniers avaient bien pris soin de s'assurer que son testament était en règle et avaient poussé beaucoup plus loin la curiosité. Ils avaient abordé le sujet un soir de sortie pour le souper. Mais ses petits enfants, quel rafraîchissement. «Quand est-ce que tu vas guérir, Papi Phil?», lui a demandé Laura, sur le sentier, sous les grands arbres. Papi Phil avait alors senti l'ivresse d'un vieil arbre au printemps, entouré de jeunes rejetons. Mais depuis leur départ, son regard est devenu plus sombre. En fait, confie-t-il à un ami, il est attristé que ses fils semblent se préoccuper plus de son départ «dans la dignité» alors qu'il se déplace encore en marchant et que ses couches ne lui servent que partiellement, s'il lui arrive de connaître un peu d'incontinence quand il profite des jardins en plein éveil autour de l'institut pour malades en perte d'autonomie.

Quand il a des poussées de douleur, le personnel qui le suit ajuste ses doses de médication, sur une base quotidienne. Mais il a tous ses esprits. Et tant qu'il fait ses mots croisés, publie des pensées sur sa page Facebook et parle avec ses congénères de mauvaise fortune, il se sent vainqueur. Il se surprend même à parler de politique alors que logiquement, il ne décidera plus grand chose avant les futures années électorales. Il espère dans le temps qui reste, régler certaines affaires et... retourner au lac de la pourvoirie et y pêcher une dernière fois avec des proches; combattre avec une truite moucheté bien vivante au bout de sa ligne. Sentir le limon du poisson entre ses mains. Décrocher l'hameçon de la mâchoire de la noble prise qui mesurera 25 centimètres (un bon 50 cm lorsqu'il racontera à ses amis de la cantine de l'institut).

6 juin.
La saison de pêche est arrivée enfin. Il a compté les dodos comme un écolier avant le dernier jour d'école. Papi Phil ira demain à la pourvoirie avec deux plus jeunes frères et un ami pour deux jours à l'extérieur. Vive la liberté! La météo semble sourire à leur projet. C'est lui qui paie toutes les dépenses. Rien de trop beau. Il a fait ajusté sa médication pour parer aussi aux imprévus. Il ne peut plus sortir du site sans accompagnement, mais qu'importe. Il affrontera le monstre du lac et mangera de sa chair, cuite sur la pierre chaude, comme aux années de sa jeunesse.

23 juin
La relation avec ses deux fils n'est pas à son mieux. Diane, sa femme chérie qui a déjà quitté, 5 ans plus tôt, constituait la rassembleuse et l'organisatrice infatigable. C'était en quelque sorte elle, le ciment de la famille et le "ministère" des communications, des relations et du "social". Michel et Danny voient d'un mauvais œil que leur père s'accroche et dilapide ainsi son argent pour un centre santé de luxe. Pour eux, en lieu et place du soulagement et des soins, il devrait pour le bien de tous et pour lui-même, choisir l'aide à «mourir dans la dignité» ou intégrer un CHSLD de l'État Québécois. Pourquoi cette prolongation de vie qui lui impose des doses ajustées de médicaments et des inconforts évidents. Parfois, son visage se crispe en leur présence. Du moins, c'est ce que leur père croit lire en eux. Plusieurs indices: l'attitude, les sujets de conversation, les préoccupations exprimées, les non-dits, les regards croisés entre frères, ...

20 juillet.
Les vacances d'été sont à moitié écoulées. Non mais, quelle idée de mourir en été au Québec! L'été est si court. Ses économies ont grandement fondu au fil des semaines et des soins personnalisés qu'il reçoit. Le condo et le chalet sont en processus de vente. Mais il a vécu. C'est ce qu'il se dit. Des bien-aimés, connaissances et proches, ont défilé à son chevet ou marché avec lui une dernière fois. Il ne peut plus marcher sans sa "marchette" (déambulatoire) dans les sentiers de pierre tamisée et compactée des jardins qui sont à leur apogée. Il sent de la frustration chez ses fils qui sont en vacances, mais qui ont préféré rester proche plutôt que de quitter le Québec pour deux semaines. Il ne leur a pourtant jamais demandé cela.

22 juillet
Papi Phil appelle un nouveau service, curieux d'une publicité parue dans le journal quotidien. Une professionnelle «se déplace»; c'est une notaire. Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi encadrant la fin de vie (loi probable), certains notaires offrent en effet des services au chevet des malades et ils sont jumelés à un médecin qui s'assure de l'état de conscience du malade pour signer des documents. Reste à ce dernier à se trouver des témoins. C'est décidé. Il y pensait depuis juin. Après tout, un testament, ça se change et il n'aime pas se sentir poussé trop vite vers la sortie, d'autant plus que c'est avec ses propres économies qu'il paie ses soins et son gîte. La moitié de ses biens iront pour ses trois petits enfants, pour le jour où ils entreront aux études post-secondaires. Ils recevront un montant chaque année pour réduire les risques que l'argent se perde dans des folies de jeunesse ou des excès. L'autre moitié de la liquidation de la succession (héritage) ira pour un organisme où il a fait du bénévolat. Ses fils, eux, se partageront le remboursement estimé de leurs frais et dépens depuis son entrée en institut pour personne en perte d'autonomie (les courses, les sorties pour affaires, la main d'oeuvre dans la réparation de la toiture du chalet en mai dernier et son entretien extérieur, etc.).

1er août. 
Papi Phil a quitté dans la nuit. Pris de nausées, il a essayé de marcher une fois de plus, sans sa "marchette" pour aller aux toilettes et s'est écroulé sur le pas de la porte de la salle d'eau. Alerté par le bruit sourd, le voisin de la chambre d'en dessous a appelé le service médical de garde de la maison. C'est son cœur qui a lâché. L'ambulance a quitté, gyrophares éteints, un peu avant l'aube.

8 août.
La lecture du testament du défunt est faite en présence de ses deux fils. Ils sont étonnés que leurs enfants soient héritiers. Cela ne correspond pas à ce qu'ils avaient lu en mars dernier. Leur visage devient de glace quand ils apprennent la suite.

15 août.
Les deux fils contesteront le testament paternel, alléguant que Papi n'avait pas tous ses moyens et qu'il a été trompé par une notaire vorace. 

Pensée: Ne trouvez-vous pas étrange que Papi Phil aurait pu décider de mourir plus tôt, mais que lorsqu'il s'agira d'argent et d'héritage, il pourrait être jugé trop sénile pour prendre une décision et réviser son testament? Fiction ou réalité?