samedi 21 mai 2011

Financement aux artistes : Nathalie Elgrably-Lévy de l'IEDM contre-attaque

Nathalie Elgrably-Lévy, économiste à l'Institut économique de Montréal (IEDM), ne lâche pas le morceau. Dans une chronique du 19 mai 2011 publiée dans le Journal de Montréal, elle persiste et signe : plutôt que l'État subventionne directement les artistes, il devrait offrir son support sous forme de crédits de taxes aux consommateurs d'arts et de produits dits culturels. Ainsi, les artistes réels ou pseudo (ma compréhension), auraient une obligation de livrer un produit raisonnablement vendable et les consommateurs auraient la liberté de choix. Ce qui constituerait une liberté du consommateur de loisir, d'arts et de culture et non un étatisme (imposé, cela s'entend). Cela peut certainement se défendre...

(mise à jour : 26 avril 2012)

Je ne sais pas si Madame Elgrably-Lévy a raison en tout point et pour toutes les œuvres, mais j'avoue être sensible à son point de vue.
«...quand l'État subventionne la production de matériel artistique ou culturel, les contribuables n'ont pas voix au chapitre. On collectivise la culture et on instaure un système où les goûts des fonctionnaires et d'une "nomenklatura" culturelle passent avant ceux des citoyens ordinaires. Les artistes sont libres de créer ce qu'ils veulent. Pourquoi les Québécois ne seraient-ils pas également libres de consommer ce qui leur plaît?
[...]
«Il s'agit plutôt de l'opposition entre la liberté et l'étatisme. Dans le premier cas, on croit en l'être humain et on respecte ses choix et son libre arbitre. Dans le second, on impose une vision élitiste de la culture, et des apparatchiks se donnent le pouvoir de décider à notre place. L'étatisme, c'est subordonner l'individu aux fonctionnaires, c'est la négation de la liberté!» (1)

Cependant, un crédit pour le consommateur, ce n'est pas un soutien financier pour la production ou une aide au démarrage. Mais, difficile de ne pas être d'accord au moins en partie.

J'ai déjà écrit sur yapasdpresse que je connais des diplômés dont la passion ne fût pas subventionnée et qui ont dû s'ajuster et pacter avec la dure réalité du marché. Je parle par exemple d'anthropologues, d'historiens, d'urbanistes, d'architectes du paysage, de théologiens et même de gens des sciences pures comme des biologistes. Pourquoi doit-on subventionner les uns et pas les autres? Oserait-t-on dire que ceux-ci ne font pas partie de la culture québécoise? La réalité : plusieurs diplômés, hors du domaine des arts, ont dû se recycler ou diversifier leur offre, simplement pour avoir un toit et du pain. Et j'en aurais un peu encore à écrire sur la culture de la critique culturelle; critique subventionnée par l'État. C'est le cas par exemple à la SRC. Des goûteurs de culture subventionnés via les télévisions et radios d'État ont souvent presque droit de vie et de mort sur les productions artistiques et culturelles, même celles entièrement de fonds privés.

La culture naît-elle avec les subventions ?

Quant à savoir si la culture naît avec les subventions, ça reste à prouver selon l'économiste:

«... plusieurs tentent de nous effrayer en clamant que sans aide gouvernementale, point de culture. Ah bon ? Seraient-ils en train de dire que la culture québécoise était inexistante avant la création du ministère de la Culture en 1961?» (2).
Elle marque un point ici.

Une précédente chronique de la même économiste avec le billet Non au mécénat public (3), diffusée dans le Journal de Montréal / Journal de Québec a suscité des réactions émotives. En voici un extrait qui annonçait des réponses incisives:

«Il n'existe que deux raisons pour lesquelles un artiste vit dans la misère. La première est que son talent n'est peut-être pas en demande. La deuxième est qu'il est peut-être tout simplement dépourvu de talent. Dans un cas comme dans l'autre, le public n'est pas disposé à consacrer son argent à l'achat du produit culturel proposé. Ainsi, pourquoi y mettre l'argent du contribuable? Pourquoi l'État achèterait-il, au nom de la collectivité, ce que nous refusons d'acheter individuellement?» (3).

C'est dur, j'en conviens. N'y a t-il aucune exception? Pourtant, si vous me permettez cette image, faudrait-il subventionner tous les cuisiniers, pour protéger ceux dont personne ne veut manger les plats? Pourtant, en matière d'arts et culture, tout se confond et l'esprit critique perd son terrain de jeu. Nous sommes actuellement contraints malgré nous, au Québec, de nous en remettre à une élite qui décide pour nous, avec notre argent. Cela mérite certainement d'en discuter.

Confusion entre culture et arts

Au FM93 (radio privée de Québec), l'animateur et producteur Gilles Parent, lisant et supportant la vive réponse de la critique Pétrovsky (l'autre Nathalie) dans ce débat de nature économique, au Retour en après-midi a affirmé que l'économiste de l'IEDM s'était fourvoyée et pas qu'un peu. Il a repris cet argument ébranlant, j'en conviens et que je résume ainsi : tous les pays supportent financièrement la culture, leur culture. C'est un argument massue... mais en apparence seulement; une massue comme celle que j'avais un jour achetée dans un commerce itinérant. Voici l'omission dudit argumentaire : il y a dans nos médias québécois une confusion réelle et entretenue entre culture et arts. La culture contient des arts, mais les arts ne sont pas un  équivalent de la culture. Arts n'égale pas culture. La culture se crée et se modifie avec le temps et se veut un produit de société et non le produit d'une contrainte étatique. Par exemple, un excrément sur un monument historique pourrait constituer de la culture pour l'un, mais ce ne serait qu'une culture bactérienne à mon sens. Si l'oeuvre est oubliée après 2 jours, ce n'est pas une part de la culture. Et pour l'art, laissons le débat aux "...lologues" subventionnés.

Le début de la fin

Cela (la valeur de l'art) me rappelle cette fameuse histoire vraie et récente de l'artiste subventionné à hauteur de plusieurs dizaines de millliers de dollars en partie par MES impôts et taxes, pour faire (jamais, projet non réalisé) voler une banane dans le ciel à des fins politiques (4), laquelle n'a jamais volé ni même été construite. J'en ai été très choqué, au point que les subventions aux arts ont perdu mon appui à ce moment. Vérification faite auprès du ministère, le projet n'a pas abouti, mais les subventions ont bien été versées.

Le projet d'un artiste canadien de 2007 de banane flottant au-dessus du Texas
a effectivement été subventionné. Crédit photos : http://www.geostationarybananaovertexas.com/fr.html
La photo montre le concept et non pas une image satellite, évidemment.
On a vraiment ri de nous dans cette affaire, c'est là mon sentiment qui m'a remis
en question sur les subventions aveugles à l'art et à la culture. C'était en plus
un projet purement politique (anti-Bush) au temps où Oussama ben Laden et 
Al-Qaida étaient encore vus comme un pouvoir politique aussi légitime qu'un 
président (Bush) élu 2 fois par son peuple.
Soyez-en assurés, je ne hais pas les artistes. J'en ai parmi mes proches et je suis moi-même artiste dans l'âme généralement autodidacte, à l'exception des cours d'arts au secondaire et quelques cours de concentration de mes programmes post-secondaires, comme dessin technique ou en aménagement du territoire, paysager ou urbain, etc.). J'aurais pu prendre une formation professionnelle dans les arts graphiques ou les lettres. Mais une autre réalité m'a atteint, comme elle atteint aussi la plupart des adolescents qui auraient aimé devenir joueurs de hockey professionnels ou astronautes: l'offre et la demande. Et jamais je n'oserais imaginer que si j'étais diplômé d'Arts et lettres, l'État me doit quelque chose à vie pour que je puisse me consacrer uniquement à ce qui me passionne.

Pour rigoler un peu au sujet de la banane dans le ciel 
et des arts à tout prix...
(source: TQS, aujourd'hui restructuré sous le nom de canal V)


_______________
1.  Nathalie Elgrably-Lévy. Élitisme culturel. Journal de Montréal, Jeudi, 19 mai 2011, p. 25
Élitisme culturel

2.  Même référence

3.  Nathalie Elgrably-Lévy. Non au mécénat public. Journal de Montréal, Jeudi, 5 mai 2011, p. 27

Non au mécénat public


4. Codère, Jean-François. AU COÛT DE 65 000 $ On se paye une banane géante au-dessus du Texas. Journal de Montréal. 9 janvier 2007.
http://www.canoe.com/divertissement/arts-scene/nouvelles/2007/01/09/3255981-jdm.html
Les coûts totaux étaient estimés à 300,000 dollars.
site du projet  : http://www.geostationarybananaovertexas.com/fr.html
Allez voir ces photos et dites-moi qu'on n'a pas ri de nous et de notre argent avec ce projet.