vendredi 6 juin 2014

Projet de loi 52 adopté au Québec: un véritable «pouvoir de tuer» est donné aux médecins

6 juin 2014 - 

Les drapeaux du Québec devraient être mis en berne en signe de deuil national. Le projet de loi qui rend «légale» l'euthanasie autorisée ou pré-autorisée par le patient a été adopté le jeudi 5 juin 2014 par une majorité d'élus, à l'Assemblée nationale du Québec. Les médecins auront donc un véritable pouvoir décisionnel «de tuer». 


Pour le public, les informations véhiculées sur les réseaux sociaux et via les médias confirment que la confusion est maintenue entre 

  • la cessation d'un soin avec accompagnement du malade avec soulagement de la douleur (donc ni euthanasie ni suicide assisté)
  • versus la mort provoquée par injection létale; ce qui est vraiment un acte d'euthanasie

Pire encore, l'alimentation du malade inconscient est considérée non plus comme un besoin fondamental, mais comme un soin, qui peut donc être interrompu.


Et ce n'est qu'un «premier pas» selon la marraine du projet


Un «premier pas important» selon la ministre

Drapeau du Québec en berne
et grisaille.
Le drapeau du Québec devrait en effet être mis en berne, car au lieu de décréter l'obligation de rendre accessible à tous les soins palliatifs, le projet de loi rend accessible à tous, la mort en cas de grande souffrance, dans ce qui est un «premier pas important» (first important step), pour rependre les termes de Véronique HIVON, alors ministre, sur les ondes de CBC radio, 29 janvier 2014, à l'émission The Current.

Parmi les 22 opposants minoritaires se trouvent les ministres libéraux/libérales suivant(e)s (source: Hoffington Post):
«L'opposition au projet de loi est venue des parlementaires libéraux. Une brochette de ministres dont Lise Thériault, de la Sécurité publique, Christine St-Pierre, des Relations internationales, Pierre Arcand, de l'Énergie, Pierre Moreau, des Affaires municipales, et Sam Hamad, du Travail, ont tous voté contre la pièce législative. Les députés du Parti québécois, de la Coalition avenir Québec et de Québec solidaire ont appuyé le projet de loi à l'unanimité» (1).
Une unanimité qui a de quoi inquiéter chez les autres partis, vu la gravité de l'enjeu.

AVERTISSEMENT : Le diaporama en fin d'article du Hoffington Post Québec est tendancieux et trompeur (2). Il illustre bien la confusion entre soins et injection mortelle, car il faut savoir que
  • du point de vue statistique reél, le refus par le malade, de traitement ou refus de recevoir des soins n'est pas de l'euthanasie, ni du suicide assisté. Par exemple, le fait pour un malade, de refuser une importante chirurgie aux poumons à l'âge de 73 ans ne constitue ni un suicide, ni de l'euthanasie. Le malade veut quand même être soulagé et demeurer autonome. Mais l'interprétation de la vidéo diffusée sur Hoffington Post fait artificiellement gonfler les statistiques sur le nombre d'États qui pratiqueraient l'euthanasie en fin de vie.
  • Autre biais : l'alimentation d'un malade trop faible, non autonome ou inconscient n'est pas un soin, mais la réponse à l'un des besoins fondamentaux. Or, le diaporama présente faussement le refus de se faire hydrater et nourrir, comme étant le refus d'un traitement.
  • Le non-acharnement thérapeutique (cessation du traitement agressif inutile) n'est pas de l'euthanasie. 
  • Les soins palliatifs (soulagement de la douleur selon le besoin du jour) pouvant aller du soulagement jusqu'au coma provoqué ne constituent pas de l'euthanasie  
  • Les malades très souffrants, veulent majoritairement être soulagés et non tués par injection létale. Dans les faits, c'est peut-être ici la société et le corps médical professionnel que l'on veut soulager et non le malade.
Parler d' «euthanasie passive» (cesser un soin inutile et agressif) équivaut à employer un terme tendancieux qui ne fait qu'ajouter à la confusion, en laissant croire qu'un beaucoup plus grand nombre de pays occidentaux, que la réalité, pratiqueraient légalement l'euthanasie.


Ce qui était demandé par la majorité au Québec 

    Crédits image : Luc Tesson (date inconnue)
  • n'était pas le pouvoir de donner la mort, mais l'accès aux soins palliatifs, lesquels excluent l'injection létale mortelle. La majorité s'opposaient à cet acte pour donner la mort
  • C'était aussi le refus de l'acharnement thérapeutique (ex. être intubé avec respirateur artificiel au-delà de quelques heures ou jours d'observation; ex. être réanimé à tout prix, suite à un arrêt cardiaque ou respiratoire prolongé).
  • Ce sont ces choses que refusent en réalité les Québécois lors des sondages. Mais ils ne font pas la différence entre le non-acharnement et l'euthanasie.
Dans les faits, si l'on omet ce qui n'est pas de l'euthanasie, ce sont une poignée d'États qui pratiquent en fait une euthanasie autorisée par le malade, ou une euthanasie pré-autorisée ou sinon demandée par un proche.

«Très large consensus» comme le dit la marraine du projet, Véronique HIVON? Ou est-ce très vaste mensonge politique?
Rappelons que l'ex-ministre, maintenant député, Véronique HIVON avait déclaré le 29 janvier 2014, à l'émission The Current, de la radio de CBC, qu'il s'agissait, pour le projet de loi 52, d'un consensus pour «un premier pas», avouant du fait, que le projet de loi (adopté en 2014) serait logiquement réouvert, les années suivant son adoption, vers un plus grand nombre de cas admissibles. Pour parvenir à l'actuel «pseudo-consensus», il aura fallu aussi pour les élus, ignorer la majorité des recommandations faites à la Commission contre l'euthanasie, tout de même, et aussi changer le sens des mots et concepts. Cette mauvaise compréhension transparaissait même via d'apparentes contradictions dans les sondages.

Une requête contre ledit projet de loi 52 devait être déposée en Cour supérieure du district de Montréal, par une citoyenne et un médecin de famille, pour contrer cette loi. La demande en Cour supérieure (fichier PDF ici) est soutenue par un argumentaire qui m'apparaît solide, notamment (bref résumé très partiel):
  • Parce que les soins dignes (incluant l'accès à l'hygiène corporelle) et évidemment les soins palliatifs (soulagement véritable et adapté en fin de vie) ne sont pas accessibles à tous, on ne peut pas prétendre à l'existence d'un véritable libre choix du patient très souffrant, pour qui l'euthanasie peut sembler s'imposer, dans les conditions humiliantes résultantes.
  • Aussi parce que le Code criminel relève de la juridiction canadienne, une province n'a pas le pouvoir de légiférer sur la façon de donner la mort à une personne protégée jusque là par les lois et chartes. Pour contourner ceci, le Québec a inclus l'injection létale ou tout acte équivalent visant à provoquer et accélérer la mort, comme «un soin» dans un processus de fin de vie. 
  • Il faudrait modifier plusieurs lois, le Code criminel, les chartes des droits (du Québec et du Canada), les codes professionnels, entre autres, pour «légaliser» la pratique.
  • Le projet ne définit pas les actions par les mots habituellement employés, suicide assisté et euthanasie étant remplacés par «soins de fin de vie» et «aide médicale» à mourir, entretenant ainsi l'ambiguïté sur l'acte réel donnant un réel pouvoir de mort aux médecins.
  • Le médecin parrainant la poursuite rappelle diverses autres limites, notamment que les pronostics sont souvent erronés;
    • une fois sur deux pour prédire une durée de vie de 6 mois et moins, 
    • et que les mauvais diagnostics eux-mêmes peuvent être aussi fréquents que 10 à 20% selon diverses études (articles 21 et 22 de la requête, page 5).

Pour comprendre un peu plus l'origine des soins palliatifs au Canada:

Le père des soins palliatifs au Canada propose une approche plus humaine



La Belgique a cru elle aussi une décennie avant nous, le Québec en 2014, qu'elle pourrait faire mieux que la majorité des États du monde qui n'ont pas ouvert cette porte consistant à provoquer la mort du malade. Puis les balises du départ se sont mises à tomber, car il ne s'agit pas ici de vœux pieux, ou de bons sentiments, ou de logique, mais de droit. Le droit est froid. Chaque cas nouveau accepté, ouvre un peu plus la porte pour un autre cas. Et cela, la député (ex-ministre) HIVON ne peut que le savoir, vu sa connaissance du dossier et sa formation comme avocate et non comme médecin.

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1.  Martin OUELLET. Presse canadienne (PC). Soins de fin de vie: Christine St-Pierre ne veut pas accorder le «pouvoir de tuer» aux médecins avec le projet de loi 52. Le Hoffington Post Québec, 5 juin 2014.
http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/06/0a5/st-pierre-ne-veut-pas-accorder-le-pouvoir-de-tuer_n_5453038.html?utm_hp_ref=politique (page consultée le 5 juin 2014).

2.  Le diaporama en fin d'article du Hoffington Post Québec est tendancieux et trompeur, car
  • le refus par le malade, de traitement ou refus de recevoir des soins n'est ni de l'euthanasie, ni du suicide assisté,
  • de même, pour le non-acharnement (cessation du traitement médical qui prolonge artificiellement et de manière indue la vie) n'est pas de l'euthanasie. Débrancher un patient sur respirateur qui ne vit pas par lui-même depuis des jours n'est pas de l'euthanasie, ni du suicide assisté,
  • les soins palliatifs, comme la sédation pouvant aller du soulagement jusqu'au coma provoqué (pouvant donner l'impression de tuer) ne constituent pas de l'euthanasie. Les spécialistes en soins palliatifs expliquent d'ailleurs que la sédation à trop forte dose peut effectivement accélérer la mort. C'est elle qui fait dire: «cela se fait déjà» par les proches des mourants. Mais une telle surdose relève du manque de connaissance ou d'expérience en soins palliatifs, mais plus souvent l'absence de l'accès aux soins palliatifs.
  • les malades très souffrants, veulent majoritairement être soulagés et non tués par injection létale. Ils aspirent à être traités avec dignité, et non comme un fardeau. Ils veulent leur liberté d'activité (leur intimité, lecture, choisir leurs visiteurs, etc.) et non que les proches décident tout à leur place; ils ne veulent pas être infantilisés. Si je vous laissais durant des heures avec une couche souillée aux fesses et que je vous privais de vous laver durant 7 ou 10 jours, peut-être aussi, seriez-vous découragés de vivre, mais dans ces cas réels, l'indignité n'est pas du côté du malade, mais du côté de l'État qui permet cela. Il est coupable parce qu'il a choisi d'être le maître-d'oeuvre en matière de santé et que c'est lui qui décide des priorités et des budgets alloués et qui devrait s'assurer d'une organisation fonctionnelle et accessible (organisation du travail, coordination des services) puisque près de la moitié du budget annuel du Québec est avalé par la santé. Le problème ne peut donc être uniquement «le manque d'argent» ou «le manque de ressources» comme aiment dire les syndicats, mais  il y a aussi déficience fonctionnelle et organisationnelle.

Pensée : Lorqu' un médecin euthanasiera une personne accidentée qui fait un don d'organes, prélèvera-t-il les organes avant l'injection létale (mortelle) ou après?