samedi 8 février 2014

«Aide médicale à mourir» au Québec: le quiproquo planifié

LES MÉDECINS ANGES DE LA MORT DE L'ÉTAT?

«Mourir dans la dignité», «fin de vie», «aide médicale à mourir», l'ensemble de la terminologie, depuis l'annonce des consultations sur le projet de Loi 52, présente les apparences d'un quiproquo planifié. Au fil d'arrivée du débat sur la fin de vie au Québec, je trouve essentiel de revenir sur un sondage réalisé du 18 au 20 septembre 2013. Ce qui est aberrant, c'est qu'à ce moment, plusieurs mois après le dépôt du rapport de la commission lancée sur le thème de «mourir dans la dignité», l'expression centrale «aide médicale à mourir», une définition incontournable du débat, était comprise de manières contradictoires et l'est encore. C'est vous dire comment ce débat a été mal mené, ou plutôt rondement mené, dépendamment des réponses que l'on voulait.

Un sondage Ipsos Marketing (1) a démontré (mené du 18 au 20 sept. 2013) que la majorité des Québécois (51%) comprenaient l'expression consacrée «aide médicale à mourir», comme consistant à
  • «...soulager sans prolonger la vie ni l'abréger...» (29%)
  • OU «Arrêter, à la demande du patient, des traitements disproportionnés ou des moyens artificiels de prolonger la vie [...] pour un patient atteint d’une maladie irréversible très avancée ou à un stade terminal» (22%).
L'euthanasie est donc exclue de l'intention du législateur pour 51% des personnes interrogés (1 sur 2).

Errance de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité?

Soit la Commission a été négligente à définir et «baliser» les termes, soit il y a d'autres responsables. Bref, un an et demi après le dépôt au Québec, d'un des plus importants rapports touchant à la vie humaine (22 mars 2012), les Québécois se méprenaient encore sur le sens de l'expression décrivant l'acte du médecin qui met fin à la vie d'un patient par une intervention directe et irréversible (ex. par injection létale). Ainsi, pour 51% des Québécois (1 personne sur 2),  l'«aide médicale à mourir» ne consistait pas à provoquer la mort directement.

Pour l'autre moitié (49%) c'était bien là le sens de l'«aide médicale à mourir»; ce groupe de 49% répondants se répartit comme suit :
  • Pour 33%, il s'agit de provoquer la mort par un acte du médecin
  • et les autres 16% le comprennent dans le sens de suicide assisté où le patient est aidé à se donner la mort.
Comme l'a souligné Jacques BRASSARD, dans un billet du 6 février 2014:
«...ce n’est pas parce qu’une majorité parlementaire, même soutenue par une partie notable de la population, décide d’autoriser l’euthanasie par une loi que cette façon de donner la mort est morale» (2). 
Cela est d'autant plus vrai devant ce constat des mots caméléons qui changent de sens selon le groupe interviewé.

Le sens et l'essence des mots

Depuis quelques décennies, au Québec ou plus largement au Canada, la société de droit est en mutation vitesse grand V. Ce genre de déformation ou mutation du langage, consistant à user de néologismes (mêmes mots, mais sens différent de celui connu et reçu) est maintenant monnaie courante dans nos débats de société et consultations. Cette pratique profondément malhonnête, donc méprisante pour les citoyens d'un pays ou d'un État, doit cesser.

La notion élastique de «fin de vie» (ex. Mme Gaudreault répondant à M. Denis Lessard du journal La Presse concernant un cas de sclérose en plaque), varie de quelques jours à plusieurs années selon les intervenants (3).  Il ne s'agit plus d'utiliser la connaissance médicale pour soulager la douleur ou provoquer un coma transitoire temporaire ou vers la mort. L'enjeux postmoderne consiste à abréger une vie sur le déclin qui dérange, qui pèse, qui nous fait peur, qui est un miroir de notre vulnérabilité que nous ne désirons plus voir ou qui a un coût financier en soins.

Cette méprise sur le sens des mots n'est de toute évidence pas accidentelle, d'autant qu'elle a été dénoncée par plusieurs débatteurs dans le dossier. La mutation des mots dans ce débat semble une stratégie planifiée dès le début. On peut donc penser qu'il NE s'agit PAS d'un échec des communications, mais bien d'un plan visant la confusion, en vue d'un plus large appui (chacun entendant ce qu'il veut), quitte à obtenir un pseudo-consensus. Cela démontre avec quelle indignité et manque de respect pour le peuple, ce projet de consultation sur les soins médicaux et la fin de vie semble avoir été mené.

Devant une absence marquée d'unité dans les compréhensions (terminologie), la faiblesse d'un argument comme celui qui suit, saute aux yeux, si le sens des mots n'est pas établi au départ auprès du public. Dans la déclaration publique qui suit, prononcée dans un point de presse bien préparé et fortement médiatisé, vous remarquerez que le poids argumentaire repose sur la définition de l'expression «aide médicale à mourir». Ce qui suit a été prononcé lors de la présentation du Rapport de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, le 22 mars 2012.

Point de presse du 22 mars 2012 lors du dépôt du rapport de la Commission spéciale
sur la question de mourir dans la dignité
«Cette évolution des valeurs se traduit dans les sondages d'opinion qui, depuis 20 ans, indiquent un appui constant, fortement majoritaire, à l'idée d'une aide médicale à mourir, ce qui est d'ailleurs corroboré par notre consultation en ligne qui, bien que n'ayant pas de prétention scientifique, a recueilli un nombre sans précédant de réponses, 6 600, et a révélé un appui de 74 % à une telle ouverture.» (4)
Premièrement, le fortement majoritaire est erroné. Si la moitié des Québécois (51%) n'a pas assimilé le même sens de l'expression «aide médicale à mourir» . Alors, l'argument tombe et l'appui hypothétique de 74% des Québécois consultés, vient de s'écrouler. Et d'avoir assimilé le sens terminologique de donner la mort de façon assistée, ne veut pas dire que les personnes interviewées soient d'accord avec l'acte.

Même chose avec son application à la conclusion centrale du comité de trois experts (juridiques) qui a déposé son rapport en janvier 2013:
«Le Comité recommande que le législateur québécois intervienne pour mieux encadrer les soins de fin de vie, en tenant compte de l’évolution des droits et des attentes de la société». (5)
C'est quoi, les «attentes de la société», quand le sens des mots, la terminologie médicale et juridique, n'est même pas établie dès le lancement du débat? Quand pour la moitié des Québécois (51%), l'expression «aide médicale à mourir» EXCLUT l'euthanasie et le suicide assisté et qu'à l'inverse, pour l'autre moitié (49%), il s'agit bien d'un acte du médecin comme une injection létale, ou posé par le patient assisté pour se donner la mort, quelles sont alors les «attentes» d'une telle société?

Dés pipés?

À mon avis, cette consultation a été biaisée dès le départ, une autre preuve étant celle-ci: la thématique orientée, associant dès le départ, la perte d'autonomie et la souffrance avec l'indignité; la commission portant le nom de Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Ce qui est indigne, ce n'est pas de devenir faible et malade. C'est de ne pas prendre en charge les malades, de les laisser mariner dans leurs excréments et leur urine, de leur servir de la nourriture froide, de ne pas leur donner de bain, de ne pas leur pourvoir d'intimité et de protection dans un temps de vulnérabilité, de ne pas rendre accessibles de véritables soins palliatifs à la majorité des malades, etc. Les véritables indignes sont des bien-portants.

Comme il est peut-être déjà trop tard pour faire changer les élus d'avis, il reste peut-être une action pour le corps médical professionnel: un refus massif des médecins, de se plier à une décision, imposée par le politique. Aucun gouvernement au Québec, ne pourrait résister à un refus massif du corps médical, de devenir des anges de la mort de l'État.

LIRE AUSSI:
Des experts en humanité dénoncent le Projet de loi 52 (février 2014)
http://refusmedical.blogspot.ca/2014/02/experts-humanite-denoncent-pl52.html
Avec L'expert en humanité, Jean Vanier, fondateur de l'Arche avec ses 150 communautés qui, dans 40 pays, accueillant les personnes vivant avec un handicap
          ET Le docteur Balfour Mount, fondateur des soins palliatifs en Amérique du Nord
_______________
1.  Sondage auprès de la population canadienne sur la problématique des soins de fin de vie (fichier PDF). Ipsos Marketing. Septembre 2013. Date de collecte: 18 au 20 sept. 2013.

2.  Jacques BRASSARD. L’euthanasie : légale mais toujours immorale. Journal de Québec en ligne, 6 février 2014 20h49.
http://www.journaldequebec.com/2014/02/06/leuthanasie--legale-mais-toujours-immorale page consultée le 8 février 2014.

3. Conférence de presse de Mme Maryse Gaudreault, présidente de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, et de Mme Véronique Hivon, vice-présidente de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Explications concernant les 24 recommandations contenues dans le rapport de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Version finale | Le jeudi 22 mars 2012, 11 h 15 | Salle 1.30 (1.30), Édifice Pamphile-Le May | (Onze heures trente-cinq minutes)
http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-8599.html (page consultée le 9 février 2014)
         La question suivante et sa réponse sont instructives sur le large spectre de chaque terme, serait-ce seulement la notion de «fin de vie».
          (Question de la salle)
«M. Lessard (Denis): M. Leblond est atteint de sclérose en plaques, il n'est pas nécessairement en fin de vie. On peut dire, bon, il peut continuer plusieurs années, on ne le sait pas. Mais on l'autoriserait à réclamer ça de son médecin?» 
(Réponse) Mme Gaudreault: «S'il est en fin de vie... Vous savez, la fin de la vie, ça a été aussi... On a eu beaucoup de débats par rapport à comment on qualifie la fin de la vie. Alors, pour certaines personnes, c'est une question de jours, pour d'autres, ça peut être une question de mois, et d'autres peut-être même pour une question d'années, lorsqu'on parle des démences et des maladies comme l'Alzheimer. On parle d'une mort sociale et, ensuite, la mort médicale. Mais, dans le cas de M. Leblond, si, avec son médecin, il établissait qu'il répondait à tous les critères de façon concomitante, c'est vraiment au médecin de juger et de son deuxième avis de médecin de juger s'il est apte à obtenir une aide médicale à mourir».

4.  Même référence,  22 mars 2012

5. RAPPORT DU COMITÉ DE JURISTES EXPERTS SUR LA MISE EN OEUVRE DES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION SPÉCIALE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE SUR LA QUESTION DE MOURIR DANS LA DIGNITÉ. RÉSUMÉ.  page 15