samedi 8 décembre 2012

Cinéma québécois à l'urgence

LE CINÉMA QUÉBÉCOIS EST-IL TROP GRIS?

«Le cinéma québécois connaît, en 2012, sa pire année au box-office en plus de dix ans» (1). Notre cinéma est-il polytraumatisé ou multi-poqué? Le ministre Maka Kotto du gouvernement du Parti Québécois (PQ) s'inquiète et aimerait comprendre ce qui ne fonctionne pas. On voudra probablement investir davantage dans la mise en marché ce qui n'est pas le vrai problème à mon sens, car tout film québécois qui sort est promu et encensé sur un grand nombre de tribunes et dans la presse spécialisée et générale... j'ai souvent l'impression que le cinéma américain montre le paon (le personnage central) à 95% de face et de profil, alors que le cinéma québécois passera la moitié du film à montrer son côté terne. (dernière mise à jour: 2012-12-15)

Bien sûr je ne représente pas la majorité des gars, car à l'usage, les sujets sociopolitiques qui m'intéressent dans la vie, ne sont pas les plus populaires dans une salle de pause-café. Je devrais donc logiquement carburer au cinéma québécois; et pourtant non. Je ne m'abreuve pas aux êtres intérieurement torturés.

Ingrédients de la majorité des films québécois

La recette type de fabrication d'un film québécois semble devoir présenter un ingrédient incontournable de perdant au départ:
  • Un personnage torturé intérieurement
Mais encore, une forte prédisposition à être un perdant ou une victime:
  • La victime qui devient meurtrier par la faute du «système»
  • Une enfant torturée par sa belle-mère
  • Une femme qui se fait agresser et voler sa vie par un mari avare
  • Une femme qui veut un enfant mais le voit en même temps comme un alien qui va gâcher sa vie professionnelle
  • Le film ne doit surtout pas bien finir (happy ending), car ce serait trop comme ces maudits "ricains"
  • Sa philosophie ne doit pas promouvoir une valeur traditionnelle car il faut faire table rase et recommencer du début.
  • Les gens de foi sont forcément des pervers, des exploiteurs ou des faibles qui couvrent l'indéfendable
  • Les couples hétérosexuels mariés doivent passer pour jurassiques (dépassés)
  • Et j'oubliais, il y a bien sûr aussi le quota minimal de jurons à respecter qui est aussi une valeur recherchée dans notre culture; environ un aux trois phrases.
  • Et d'autres composantes, au goût ou selon la saison.
Une histoire et un raconteur

Pourtant, plusieurs des éléments et des sujets d'un récit porté à l'écran au Québec, nous les avons dans le cinéma américain et ça fonctionne au box-office. Et ce ne semble pas uniquement être la question du nombre, quoique celle-ci soit une données majeure (taille du marché américain). Mais l'intérêt que leurs films suscitent même chez nous démontre que la thèse du nombre est insuffisante. Cela m'amène la question suivante: se peut-il qu'une partie du problème soit dans l'adaptation d'une histoire au grand écran OU encore de savoir la raconter, ou pire encore le biais idéologique? Car dans un film, il y a deux composantes majeures à mon sens: une histoire à dire aux autres ET celui qui la raconte (l'angle, la couleur, le ton). En fait, il y a plus d'un angle pour raconter une même histoire.

Prenez des films américains des décennies précédentes comme JFK (film d'Oliver Stone, 1991, inspiré de l'enquête du procureur Jim Garrison) et L'initié (The Insider, un film inspiré des révélations d'un chimiste et V-P, haut gradé de l'industrie du tabac, Jeffrey Wigand menant au scandale des grandes compagnies de tabac américaines et aux poursuites contre elles). Les deux héros de ces deux histoires, Garrison et Wigand, voient leur relation de couple éclater, mais cela ne constitue pas la moitié du récit. C'est une conséquence d'un déséquilibre professionnel ou de la pression insupportable sur les familles, point. Dans un film québécois, l'éclatement du couple prendrait probablement la moitié du récit. On en profiterait pour tenter de montrer le mariage comme l'institution à bannir; «la principale cause du divorce», dit-on ironiquement ici (comme la naissance est principale cause de décès?).

Ou se peut-il que nous racontions des histoires tellement proches de la vie quotidienne de plusieurs québécois, qu'elles en deviennent banales; l'hyperréalisme social? Qui veut aller au ciné pour voir sa vie "ordinaire" de la semaine vécue par un personnage porté à l'écran: un autre québécois qui en arrache, surtaxé, qui aurait voulu être entrepreneur, mais déteste l'administration et la complexité de la fiscalité du Québec. Ou encore, va-t-on au cinéma voir un de nos frogs boomers postmodernes, dont la vie se termine dans une conclusion ambiguë ou une retraite trop ordinaire?

Deux approches, deux assistances de salles

Tiens voilà un exemple de l'approche. La vie d'un retraité sera racontée en vision cinéma québécois, par une mort lente qui se terminera probablement par un suicide semi-volontaire. On favorisera les scènes de pluie et de neige fondante. Mais dans une histoire sous l'angle américain, on verrait comment un retraité solitaire que les enfants ne viennent pas voir agit et change sa destinée, avec les nuances des relations humaines. Cela pourrait mener à des faits cocasses et humoristiques. Ou on pourrait encore montrer comment naît une belle amitié entre quatre retraités ou comment des gens se retrouvent via les réseaux sociaux et réapprennent à se connaître et quels peuvent être leurs défis (ex. sortir dans la rue après 21h à Montréal et faire face aux gangs de rue).

La plupart du temps, on ne racontera pas dans notre cinéma québécois, comment un Jean Coutu réussit à implanter un réseau de pharmacies, mais comment une Geneviève Janson est déchue du monde du sport (on dira probablement qu'elle est victime du système dans le film actuellement en préparation). Ou comment des gens sortent de la pauvreté en gagnant à la loterie pour mieux déchoir; la télésérie Les Lavigueurs, la vraie histoire (excellente mini série télévisée mais élevant encore le concept de perdant même après avoir gagné). Malheur à qui a des prétentions trop élevées et veut restaurer une réputation dans un film. Un québécois condamné pour viol, puis innocenté par la justice après des années de prison (erreur judiciaire) ne saurait s'en tirer facilement. On donnera dans les médias toute l'attention à une accusatrice à qui répugne le rétablissement de son ex. L'Affaire Dumont, un film sorti en 2012, basé sur un fait vécu qui risquait de connaître du succès au box office, est ainsi torpillé dès sa sortie en salles. Encore ici, le fait que l'homme, parce que faillible, se voit victime de tentative de se faire voler sa vie une deuxième fois. Aucune vie, même une petite vie, à la limite improductive, ne mérite une accusation criminelle et un emprisonnement pour une faute non commise.

Comment choisissons-nous un film à voir?

Quand je loue ou achète un film, je regarde pour un film qui me fera décrocher de ma réalité, de mon travail, de ma vie quotidienne. Si je regarde un film de sport, je veux voir des sportifs, des défis relevés (Maurice Richard) et non pas que des joueurs d'une ligue de garage parodiant la dignité de la discipline sportive. Si je veux un film à message politique ou social, alors je choisis selon le sujet. Je ne veux pas être appâté et piégé.

Un cinéma en manque de héros? Ou le film auto-thérapeutique

Le problème du cinéma québécois serait-il exactement le même que celui de la destinée d'un peuple qui ne tolère pas les héros, les vrais, ceux qui ouvrent un chemin aux autres pour atteindre un grand objectif. Cela nous ne le prenons pas.  Au Québec, un homme d'honneur n'a pas le droit d'exister. Une femme, peut-être oui, mais pas un homme. Nous avons une relation tordue à la masculinité. Le père doit être un sale égoïste, ou encore un idiot ou sinon un absent qui quitte le foyer à la première occasion pour ne jamais y revenir ou avoir une double vie, si c'est ce que l'artiste a connu dans sa famille et veut évacuer. Le film auto-thérapeutique de l'artiste ou le partage (l'offrande) des vidanges personnelles, on ne paie pas et ne se déplace pas en masse, pour aller voir ça. On attend que ça passe à la télé.

La philosophie du GRIS

Lorsqu'on raconte une histoire à la québécoise, on choisit généralement l'angle du gris, partant du fait que nul individu n'est parfait (une vérité).

Ainci, pour prendre une image, j'ai souvent l'impression que le cinéma américain montre le paon (le personnage central) à 95% de face et de profil, alors que le cinéma québécois de 2012 passera la moitié du film à montrer son côté terne. On peut aborder le personnage principal surtout par ses défauts, mais on peut l'aborder surtout aussi par ses réalisations positives, ses défis relevés.

Ici, il faut donc s'empresser de tuer le héros, dans ses gênes, avant même qu'il naisse. Sauf dans l'humour (Cruising bar), sa mort doit déjà être programmée dans la naissance du personnage principal. Un film québécois ne saurait avoir une suite, parce que le personnage doit nous décevoir. Mais cela soulève une question: qui veut voir un film gris? Des films comme Piché (le pilote) ont échappé à l'Ordre du temple du Plateau (métaphore pour désigner la gauche montréalaise contrôlant la SRC et la plupart des universités), mais ils sont rares. Le commandant Piché (un fait vécu par un pilote de ligne commerciale interprété par Michel Côté) connaît une descente et une forme de rédemption. L'antihéros sur la cocaïne, le gars ordinaire, s'affranchit de l'esclavage de la poudre blanche et devient un héros. Il se refait une vie et se faisant, en sauve d'autres et reconnecte avec sa fille. D'où sa popularité.

Un autre problème, c'est que le cinéma d'ici se développe peut-être trop en vase trop clos. Aux États-Unis, les films sont souvent testés par un auditoire de divers horizons. Au Québec, on croirait le film testé par les templiers du "Plateau" où tout le monde voit la vie de la même couleur; là où l'on emmure ceux qui pensent différemment.

Le jupon politique

Et si c'était le jupon politique qui dépasse? Le film québécois semble trop souvent vouloir passer son message politique ou reprogrammer les ignorants (nous, moi). Or quand on veut relaxer au cinéma, on ne veut pas se faire convaincre de la «seule bonne» opinion politique ou consulter pour se faire reprogrammer à gauche toute. Quand j'ai vu les films Nixon ou Bobby ou  W ou 13 Jours ou The Queen (Elizabeth II jouée par Helen Mirren) ou Tatcher (malheureusement une lecture diminuant la femme de droite économique par le biais de sa maladie de fin de vie) ou Le Discours du roi, ce n'était pas pour me faire briefer politiquement. C'était pour infiltrer un monde que je ne connais pas.  Ce n'était pas non plus pour me faire dire que la politique est uniquement corrompue et que je dois me convertir au socialisme romantique, car les pays qui ont essayé le socialisme et le communisme ou le marxisme-léninisme le sont devenus aussi au point d'imploser. Même chose pour quand je vais aller voir Lincoln

Les «incompris»

Bref, je suis de ceux qui croient que ce ne sont pas uniquement les cinéphiles qui n'ont "pas compris" mais probablement par moment, les artistes. On ne va pas au cinéma pour changer le monde (sauf lorqu'on veut voir un film en ce sens) et encore moins pour voir notre voisin d'à côté, mais pour entrer dans un monde inconnu, voir là où d'autres on réussi à changer une partie de leur monde. Aussi parce qu'on croit encore aux héros. La solution dépasse la simple mise en marché et les millions selon la vision PQ du monde. Mais comme cela ne changera probablement pas et que le grand écran n'est pas la télé, plusieurs films québécois passeraient peut-être mieux en téléfilms qu'en cinéma de salle. Et ce n'est pas une insulte. Prenez par exemple un excellent téléfilm étranger des années 1980, Au nom de tous les miens (1983, une période de la vie de Martin Gray).
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1.  Cédric BÉLANGER. Cinéma Québec. Une industrie menacée. Journal de Québec, Samedi 8 décembre