mercredi 5 août 2015

Quand les transporteurs aériens font de la morale populiste

Polices de la conscience : piste glissante pour les transporteurs aériens


Les transporteurs de fret aérien ont-il à jouer le rôle des tribunaux et des douanes. Bien sûr ils ont, il nous semble, un devoir moral de signaler ce qui leur semble louche ou illégal, et de respecter les lois, mais au-delà de cela...


«Suivant l’exemple des grands transporteurs américains, Air Canada et WestJet ont indiqué mardi qu’ils ne permettraient plus le transport de certains trophées de chasse» (TVA - Argent, 5 août 2015).

Ainsi donc, plusieurs grands transporteurs aériens resuseront certains trophées de chasse, suite à l'affaire du lion Cecil, âgé de 13 ans.

Si les grandes entreprises veulent faire du business moral, elles ne sont pas sorties de l'auberge... Sont-elles seulement capables de distinguer le vrai du faux dans ce genre d'affaire qui enflamme les réseaux sociaux. Dans les jours suivant la nouvelle sur la mort du lion Cecil, des versions totalement contraires circulaient contre le dentiste, sans aucun procès. Les contradictions constatées nous enseignent sur la nature douteuse de l'opération.

C'est du marketing populiste. C'est le travail des douanes, tandis quele rôle des transporteurs est de signaler les cas douteux et d'appliquer la loi. 

Qui dit vrai dans cette affaire ? 


  • Le lion en pleine force de l'âge versus le lion âgé de 13 ans, donc près d'être remplacé par un rival (et donc possiblement un sacrifice calculé)
  • Les lionceaux seront tués par des rivaux versus même scénario quelques mois plus tard
  • Le lion appâté en dehors de la réserve versus le lion déjà plus de 2 km hors de la réserve, sur un territoire privé et se nourissant sur un cadavre d'éléphant tué auparavant par les lions (réglementation différente).
  • La carcasse du lion abandonnée pour ne prendre que la tête versus l'autre version selon laquelle des gens dans le besoin ont mangé la viande selon le guide ayant organisé la chasse.
  • Le guide malhonnête versus le guide en lien avec la réserve pour qui les milliers de dollars seront bienvenus pour des salaires des employés et des équipements
  • Le lion tué pratiquement dans un zoo (perception véhiculée jusque dans des commentaires dans les radios) versus abattu près d'une vaste réserve naturelle comme nous connaissons aussi des parcs et réserves fauniques au Québec (non clôturés).
  • etc...


Et pour les mafieux et autres criminels VIP ?


Qui est assis dans votre section sur un vol international?


D'un côté, les grands transporteurs ne transporteront plus les spécimens des espèces menacées (variable selon les pays d'origine et les lois), mais de l'autre, ils continueront d'accueillir en première classe VIP, les dictateurs et tous les mafieux du monde. Vous me répondrez que les grands criminels voyagent en jet privé? Alors transposons le dilemme moral aux aéroports et douanes.

Le risque du coup de marketing, en réaction à la chasse des espèces menacées


Si les grands transporteurs veulent faire du business moral, ils ne sont pas sortis de l'auberge. Par exemple,

  • Cesseront-ils de servir de la viande sur les vols pour ne pas choquer les végétariens et végétaliens ?
  • Refuseront-ils de transporter des caisses de livres d'opinions comme des essais à contre courant d'une certaine élite médiatique ou autre? 
  • Que feront-ils en 2020, avec des caisses de transport contenant les exemplaires d'un livre controversé qui enflamme le Proche-Orient comme l'a fait celui de Salman Rushdie en 1988?
  • Que font-ils des plus riches criminels et mafieux qui voyagent en liberté?

Pour  être logiques et consistants avec la morale...


  • Refuseront-ils de transporter un homme accusé d'espionnage et sous avis de recherche qui fuit les États-Unis ou encore un cinéaste dans la quarantaine en route pour la France (qui ne pratique pas l'extradition), recherché avec mandat d'arrêt de la justice américaine dans une affaire d'accusation de viol d'une adolescente de 13 ans?


Qui décidera du bien et du mal, du moral et de l'immoral ou de l'éthique et du non-éthique dans les compagnies aériennes?


Qui seront les spécialistes des transporteurs pour séparer le légal de l'illégal chez les transporteurs de fret aérien ou chez les autres transporteurs?  C'est un pas de plus pour une moralité populiste trempée d'intimidation, de mépris et de violence verbale. Ce qui est mal ne sera pas nécessairement déterminé par les lois d'un pays, mais par le poids et les votes des médias sociaux. Question : quand on décidera, dans une phase 2, qu'un groupe ou individu devient persona non grata, on ne les laissera pas voyager librement?

Les compagnies se substituent à la police et aux douanes


Ce verdict pour séduire les masses, dont certains sont plus menaçants que des animaux, quand on lit leurs publications sur les réseaux sociaux, m'inquiète pour les libertés futures.

Contentez-vous donc de transporter, et laisser les douanes faire leur job. L'effet sera le même si un trophée de lion signalé aux douanes par un transporteur n'entre pas en Amérique. Il n'y aura pas d'avantage pour les chasseurs de trophées d'abattre d'autres bêtes.

Et l'effet du retour?


L'action actuelle semble payante à court terme pour l'image des grands transporteurs. On peut les voir comme des entreprises morales et humaines... Mais ils ouvrent la porte aux boycotts futurs et à la critique sur une foule d'autres aspects reliés au transport. Sont-ils prêts pour le démarketing comme le subit le Canada? On peut citer par exemple, le financement de lobbys anti-pétrole et anti-saumon canadiens par les fondations des rivaux industriels américains ou d'autres pays producteurs pour déconstruire des marchés ou conserver des monopoles? Pas sûr que la réflexion est profonde...

«À chacun son métier et les vaches seront bien gardées», dit un proverbe


Est-ce le rôle des transporteurs de se substituer aux lois, aux douanes, à la police et aux tribunaux?Les erreurs de jugement sont possibles pour priver de leurs droits des personnes et des groupes. C'est très glissant comme avenue piste pour un transporteur ou une entreprise. Les réseaux sociaux véhiculent autant de junk (raccourcis intellectuels, mensonges, demi-vérités, idées préconçues) que de matériel défendable.

Quand tout le monde court dans la même direction et a jugé (verdict de foule) en quelques heures, d'une cause qui se joue sur un autre continent, je me demande par instinct si la bonne direction n'est pas l'inverse... La justice des médias sociaux ressemble au lynchage imposé par une foule hors de contrôle. Je ne pense pas que la précipitation serve la vraie Justice. Pour la stabilité sociale, on ne répare pas une injustice par une autre injustice.