dimanche 27 février 2011

École publique et apprentissage de l'anglais : «Yes we can !»

Yes we can learn english, Mr Curzi !
http://yapasdpresse.blogspot.com/
Dans son édition du samedi 26 février 2011, le journal Le Soleil publiait un article fort intéressant sur un programme d'anglais intensif, non élitiste, qui existe depuis quelques années pour la sixième année du primaire, à la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean (1). On critique souvent l'immuabilité ou la rigidité du système d'instruction publique québécois. Mais voici ce qui a tous les airs d'un bon coup; une initiative régionale qui tranche.


Les promoteurs de l'idée avaient-ils toutes les réponses et toutes les études avant de plonger? Pas du tout. Ils ont eu un esprit d'entrepreneur et ont eu la sagesse de débuter avec des groupes d'essai pour voir les résultats en apprentissage de la langue seconde et aussi sur la performance scolaire en général. Le but ne visait pas à retarder les élèves dans d'autres matières du curriculum. Un autre aspect, est qu'ils n'ont pas visé à long terme, un programme élitiste, réservé à quelques élèves plus doués.

Le programme a commencé à être testé il y a une quinzaine d'années, pour être élargi progressivement à plus d'élèves et à plus de classes de la C.S. du Lac-Saint-Jean.

Résultats :

Comme le rapporte le journal Le Soleil,

«...selon René Simard, instigateur du programme d'anglais intensif à la commission scolaire du Lac-Saint-Jean, il n'y a pas eu d'effets négatifs sur la réussite des élèves: "On a fait plusieurs études, on a regardé les résultats scolaires et on peut affirmer que l'anglais intensif n'a pas d'effet pervers sur les autres matières. Un élève faible restera faible, mais il ne sera pas moins bon" (2)»

Voilà pour la première crainte, face à l'implantation éventuelle d'un programme semblable à toutes les C.S. du Québec.

Pour les écoles qui l'ont adopté, le programme est maintenant élargi à tous les élèves depuis l'année scolaire 2006. Mais des cohortes ont quand même terminé le cinquième secondaire et voici ce que cela a révélé:

«En 2007, le taux de réussite des élèves de cinquième secondaire aux examens d'anglais du ministère de l'Éducation était de 65%, un chiffre qui est passé à 94% en 2010, avec la première cohorte d'élèves qui ont connu l'anglais intensif en sixième année» (3).

Je me souviens, que nous sortions pratiquement handicapés linguistiques (pour la langue seconde) avec le programme régulier lorsque j'ai gradué du secondaire. Dans l'est du Québec, il y avait bien deux ou trois élèves par classe qui participaient à un court programme d'immersion estivale de type échange d'étudiants du secondaire, mais c'était généralement des familles plus aisées qui en bénéficiaient.

Souplesse dans l'application

Ce sont aujourd'hui, 16 des 21 écoles primaires de la C.S. du Lac-Saint-Jean  qui ont intégré le programme. Certaines offrent la version intégrale de 6 mois sur 10 que dure l'année scolaire (au Québec), alors que d'autres ont retenu une version abrégée de 3 mois.

Cette souplesse du programme est à mon sens, un bon exemple du respect des particularités des écoles et de leur besoin d'autonomie.

Compression des cours

L'approche implique évidemment une certaine compression des cours, mais les résultats généraux n'en sont affectés ni pour les élèves qui performent bien, ni pour les élèves plus faibles.

Les Québécois ne sont pas des attardés

En Europe, il est fréquent que les adultes maîtrisent très bien une langue seconde en plus de leur langue maternelle, et en prime, deux autres langues suffisamment pour voyager. Il n'y a pas de raison que nous ne puissions en faire autant. 

Chose certaine, le projet de certains membres du parti Québécois (PQ) de modifier la Loi 101 en vue d'interdire aux élèves du post-secondaire ou collégial (cégep) d'étudier en anglais serait une erreur. Cela ne fera que provoquer certains étudiants à faire le saut vers d'autres régions du Canada, pour aller chercher ce dont on nous a volé (dont on m'a volé): la dignité d'une langue seconde bien maîtrisée, à la sortie du secondaire.

Les objections prévisibles

- La nécessité de faire de longues études et enquêtes préalables avec des groupes-témoins pour démontrer hors de tout doute que cela fonctionne 

C'est fait. Une cohorte ayant suivi le programme de sixième du primaire a atteint le cinquième secondaire en 2010 et les résultats auraient été concluants.

- La crainte de réduire la qualité générale des résultats dans d'autres matières importantes (ex. mathématiques, français écrit) dans un curriculum déjà fort chargé

Comme il a été mentionné précédemment, les élèves, réguliers ou faibles, ne deviennent pas "moins bons". Les autres matières n'ont pas souffert, selon les données de l'article.

- La crainte de la perte d'estime de soi pour les élèves qui performent moins bien

C'est une réalité de la vie que si plusieurs courent, il n'y en a que peu qui fassent le podium des meilleurs. Le principe demeure le même. Je me souviens de ces étudiants forts du programme de sciences pures au cégep (âge : 17-19 ans env.), mais qui étaient en péril en français écrit (note de 50 ou 55%). Imaginez un futur ingénieur,  architecte ou médecin, incapable de rédiger un rapport d'analyse de 10 pages. Cela voulait dire pour eux, ne pas pouvoir rédiger un texte professionnel sans certaines difficultés importantes; pour d'autres même, de sérieuses difficultés de compréhension de textes (ex. lire un devis technique et administratif, le tout cumulant 300 ou 400 pages). 

Je me souviens aussi des élèves plutôt forts académiquement, mais plus faibles pour ce qui est de l'entrepreneuriat et de la capacité de promouvoir leurs idées. Beaucoup d'élèves avec des notes de 70 ou 75% sont devenus des entrepreneurs libres ou des motivateurs et dirigeants, alors que des élèves avec des notes de 90% ne faisaient que "chercher un job" et sont aujourd'hui dépendants de la vision des autres. C'est que la moyenne académique n'est qu'une mesure parmi d'autres.

On est tous plus fort sous certains aspects et plus faibles sous d'autres. Si les jeunes apprennent cela à 11 ans plutôt qu'à 17, ils risquent moins de se suicider et nous serons un peu moins une société "modèle" pour le nombre élevé de  suicides...

- La faible disponibilité des enseignants suffisamment compétents en anglais dans certaines régions


L'approche dans cette article a été implantée progressivement, de sorte que ce problème réel a été contourné.  Les choix sociaux peuvent aussi avoir des conséquences sur la formation des futurs enseignants. Et les écoles pourraient avoir plus d'autonomie dans les programmes particuliers.

Connexe : Non à une dictature "franco" post-secondaire

N'allez pas croire que dans notre système d'instruction publique, un tel projet élargi à toutes les C.S., comme semble le proposer le gouvernement Libéral du Québec, se ferait sans résistance et sans heurts. Mais sommes-nous moins intelligents que le reste du monde instruit qui peut maîtriser 2 ou parfois 3 langues sans se renier et sans perdre sa culture? 

Peut-être certaines élites ont-elles peur, et peut-être aspirent-elles, par le maintien dans l'ignorance de l'anglais, à nous priver de l'accès à des informations qui iraient à l'encontre du "modèle" québécois, pour autant qu'on puisse le désigner sous cette appellation sans un peu de gêne... 

Chose certaine, le projet de certains membres du parti Québécois (PQ) d'interdire aux élèves du post-secondaire d'étudier en anglais serait une erreur.

L'heure n'est pas à l'érection de nouveaux murs au Québec. Le gouvernement doit agir comme un facilitateur et non l'inverse.

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1.  Daphnée DION-VIENS. Commission scolaire du Lac-Saint-Jean : l'anglais intensif for all. Le Soleil. Samedi le 26 février 2011, p. 4-5

2.  Même référence, p. 5

3.  Même référence, p. 4