vendredi 11 août 2017

RONA (Lowes) cadenasse les informations de ses clients commerciaux contre le fisc

RONA refuse de céder jusqu'en Cour suprême! Imaginez si un jour, l'agence Revenu Canada (fisc fédéral) exige des banques de lui livrer les noms, coordonnées et sommaires des transactions de leurs clients commerciaux. Ce serait un refus net. C'est aussi le point de vue de RONA (Lowes). Car c'est exactement la requête démesurée que l'agence a déposé avec les détaillants de matériaux de construction. Sauf que les autres détaillants en matériaux de construction se sont pliés à la demande ... 



Logo de RONA pour les besoins de l'article. L'entreprise n'est pas la seule du groupe qui  a d'autres dénominations légales.

Le 11 août dans le Journal de Québec / Journal de Montréal
«RONA s’adresse au plus haut tribunal du pays pour  éviter d’avoir à fournir une liste de ses clients commerciaux au fisc qui enquête sur l’évasion fiscale dans la construction», écrit le Journal de Montréal / Journal du Québec (Jean-François CLOUTIER, Vendredi, 11 août 2017).

RONA (Lowes) agit comme un héros de la protection des données commerciales privées contre une requête du fisc qu'elle juge démesurée


Le détaillant de matériaux de construction est en dernier appel. Il a déjà perdu dans les tribunaux inférieurs. Le fisc prétend avoir besoin de ces informations à des fins fiscales de validation d'enquêtes pour éventuellement identifier des déclarations frauduleuses de revenus des entrepreneurs en construction et rénovation, des contrats non déclarés impliquant des revenus cachés, du travail underground, etc. En croisant les données des clients commerciaux des fournisseurs de matériaux de construction, l'agence prétend pouvoir identifier des fraudeurs et attaquer l'économie souterraine. Est-ce vrai? Oui. Est-ce la bonne façon d'enquêter en dehors du socialisme? Non, évidemment.

Imaginez que le fisc demande aux banques et autres institutions financières (ex. Desjardins) la liste de tous leurs clients avec sommaire leurs transactions et leurs coordonnées ...


Argumentaire du juge de la précédente cour 

« Selon le jugement d’octobre, «les principes d’autodéclaration et d’autocotisation qui sont à la base de la loi de l’impôt [...] nécessitent corollairement de larges pouvoirs de vérification d’enquête et d’inspection pour [...] l’Agence du revenu du Canada». Revenu Canada a le «pouvoir de contraindre un contribuable à fournir tout “renseignement”», selon le juge Luc Martineau»  (JdM / JdQ, 11 août 2017).


Se peut-il, je dis ça de même, qu'il y ait une faille dans les précédents jugements de 2 tribunaux inférieures qui ont favorisé le fisc. C'est que le principe semble en réalité un droit de contraindre tout individu et entreprise à fournir des données exactes et donne un pouvoir d'enquêter en ce sens. Ce n'est pas un droit de contraindre un fournisseur, une banque, etc., à donner une liste de TOUS ses clients avec un sommaire mensuel ou annuel de leurs transactions pour aller à la pêche. Ce n'est pas un pouvoir de colliger des informations sur tous.


Approche sournoise, indigne de l'agence


D'ailleurs, RONA affirme que Revenu Canada a pris une manière détournée (indigne du Gouvernement) pour obtenir un formulaire-type de demande d'ouverture de compte commercial; les enquêteurs s'étant fait passer pour des entrepreneurs. Alors que le juge dit que le formulaire non complété ne contient aucune information sur les clients, il reste que

  1. La bonne façon d'obtenir un spécimen aurait été de faire une demande en bonne et due forme auprès de l'administration
  2. Le juge ne semble pas saisir la différence entre obtenir de l'information sur une sélection de clients pré-ciblés par une enquête, versus une liste de tous les clients et leurs informations, ce qui est vraiment le but de la démarche. Il ne semble pas non-plus au fait des nuances de la démarche, en ce que ce n'est pas le formulaire vierge mal acquis qui cause problème selon RONA, mais la façon de l'utiliser avec les nouvelles technologies en utilisant des informations compilés par le privé.
  3. L'entreprise privée se trouvera à la limite à collecter des informations pour Revenu Canada et à déléguer des centaines de personnes pour répondre à des requêtes d'informations en beaucoup plus grand nombre, voire même témoigner de plus en plus en cours ou en tribunal d'arbitrage interne au fisc. Car c'est bien cela qui va arriver: demander un plus grand nombre d'informations avec pour résultat, appeler à témoigner un plus grand nombre d'administrateurs sur le cheminement d'un plus grands nombre d'entrepreneurs.

Cette cause fait ressortir la désynchronisation entre le droit (tribunaux, législations créées durant les décennies précédentes) et les contextes et risques réels associés aux nouvelles technologies. Les tribunaux et les juges semblent dépassés par la nouvelle réalité, à une époque où on ne demande plus une liste imprimée de 500 noms, mais une liste informatisée de tous les clients et leurs informations (ex. un Excel)(1)

Vous n'êtes pas convaincus? C'est comme si, sachant qu'une partie significative de la population cache des revenus avec un petit emploi parallèle (évasion fiscale) ou encore paie pour des travaux non déclarés pour éviter de payer les taxes, Revenu Canada décide alors d'exiger les données de tous les clients des banques (somme des dépôts vs somme des retraits et paiements par client ou même toutes les transactions), sur la base que le fisc a besoin «de larges pouvoirs d'enquête» (JdM / JdQ 11 août 2017). Il y a un enjeu de protection des données qui ne semble pas avoir été saisi dans les jugements des tribunaux inférieurs.

Un problème éthique sérieux dans la méthode d'enquête de Revenu Canada


Dans une enquête digne de ce nom, la bonne façon de travailler pour les enquêteurs d'agences gouvernementales ou ministères, serait de cibler des clients entrepreneurs; par exemple arriver avec une liste d'entreprises déjà ciblées. Ainsi, de manière plus raisonnable, les requêtes d'extractions de données sensibles se portent normalement sur un pourcentage des cas avec un contrôle.

D'autre part, dans notre société de droit non socialiste, les données compilées par une entreprise n'appartiennent pas à l'État. Il faut actuellement une force majeure, pour justifier ce genre d'exigences de fournir une liste de TOUS leurs clients et de leurs informations avec sommaires financiers. Certains fournisseurs (ex. de matériaux) pourraient être vite débordés de demandes diverses d'enquêteurs du Gouvernement, par exemple, à savoir si tel formulaire a bien été rempli par tel client, etc. (faire le travail de pré-enquête du Gouvernement). Le ratissage le plus large (TOUS les clients) serait en toute logique suivi d'un accroissement considérable de ce type de requêtes et de convocations à témoigner en arbitrage ou devant un tribunal.

C'est comme si les enquêteurs agissaient comme des paresseux insouciants du risque de mauvais usage de telles données. C'est une approche abusive et irresponsable qui met à risque des informations d'entreprises et bientôt des informations de personnes (ex. pour vols -ursurpation- d'identifé), si le fisc gagne en Cour Suprême. Car si cela devient bon pour les clients commerciaux, rien n'empêche que ce soit élargi à tous les clients. 

RONA refuse de livrer des listes complètes et agit, à ses frais, en héros en matière de protection des informations d'entreprises et bientôt de clients «ordinaires»




En refusant la requête extravagante du fisc, exigeant la liste de TOUS les clients commerciaux, RONA se porte en héros de la protection des renseignements d'entreprises (et bientôt des renseignements de clients non commerciaux). C'est comme dire aux enquêteurs: «Faites votre travail d'abord en ciblant des cas précis». Bref, les paresseux insouciants n'ont qu'à faire une vraie enquête et cibler des entreprises. Les hauts dirigeants des autres détaillants de matériaux qui se sont mis à genoux n'ont pas compris les enjeux pour les entrepreneurs (et dans une phase 2, pour les citoyens). Méritent-ils leur salaire? Si vous avez à choisir une entreprise qui a a cœur vos informations, choisissez RONA en reconnaissance de vous avoir défendu à ses frais.

Les conséquences d'une éventuelle victoire de Revenu Canada contre RONA en Cour suprême du Canada


Si la Cour Suprême fait son travail de justice et de protection des citoyens, elle devrait renvoyer l'agence Revenu Canada faire ses devoirs en épurant ses attentes pour cibler une liste limitée de clients précis pour lesquels l'enquête est déjà avancée.

La Cour suprême prend en compte les lois actuelles et la constitution canadienne. Ses conclusions n'excluent pas que les lois puissent être améliorées, précisées ou amendées (ex par l'ajout d'un article, d'une clause restrictive protégeant mieux les renseignements sur les entreprises et citoyens, etc.). Par exemple, si la Cour juge que dans le droit actuel, RONA (Lowes) doit se plier aux attentes de l'agence Revenu Canada, cela ne décharge pas le Gouvernement de rendre ses lois plus justes. La Cour suprême pourrait aussi dire au Gouvernement du Canada de revoir ses lois touchant les enquêtes, à la lumière des nouvelles réalités et de la protection des informations des entreprises privées et citoyens. Mais elle juge le droit actuel, quoique de plus en plus souvent (en matière d'enjeux sociaux), elle crée du droit nouveau (positif ou négatif selon votre position), en allant au-delà des lois (elle exige parfois de changer les lois).
  1. Donc, soit il faudrait pour le Canada, changer et préciser les lois touchées pour exiger que les enquêteurs de l'État, dans leur fonction, fassent leur travail et ciblent des clients précis et en nombre limité, sur la base de motifs sérieux. Autrement, les enquêteurs du fisc vont à la pêche de manière irresponsable et mettent à risque les informations commerciales privées de tous les clients pour un nombre de fraudeurs potentiels dont ressortira dans les faits un nombre encore plus réduit de fraudeurs réels. C'est comme si Revenu Canada voulait que les entreprises fassent une part du travail d'investigation, en son lieu et place. 
  2. La prochaine étape si Revenu Canada gagne, serait de fournir aux entreprises la structure des bases de données clients pour la rendre parfaitement compatible avec ses bases de données... C'est pratiquement du Big Brother. Si l'agence gagne et si le Gouvernement ne change pas les lois, suivant une victoire du fisc canadien, la décision de la plus haute cour au Canada confirmerait logiquement le pouvoir de certains ministères et sociétés d'État (fédéraux et provinciaux) et leurs mandataires d'utiliser des clauses d'enquête en bonne et due forme (visant la méthode traditionnelle), pour obtenir les informations et transactions DE TOUS LES CLIENTS d'un détaillant ou fournisseur, non seulement des entreprises comme les clients de RONA, mais dans la même logique dans une prochaine phase, des individus (clients non commerciaux ou non-entrepreneurs), clients d'autres genres d'entreprises. 
  3. Et de là, les enquêteurs gouvernementaux ou leurs mandataires (!) pourraient demander par exemple à des banques, de fournir les listes et sommaires (ex. annuels ou mensuels des dépôts vs dépenses) de tous leurs clients.
  4. À partir de ce moment, il y d'une part, toute la logique des risques de vols et usurpations d'identités, car les fournisseurs de biens et services collectent souvent un identifiant pour ouvrir un compte (numéro de permis de conduire, numéro d'assurance sociale ou d'assurance santé bien que ce soit illégal de le demander, etc.).

C'est gros. On se retrouve ici devant une démarche propre à la méthode des États totalitaires, socialistes ou autres. Que les enquêteurs fassent leur travail de défrichage (pré-enquête) avant d'exiger les informations privées des entreprises et bientôt de tous les clients de certaines entreprises. Réveillez-vous les entreprises, car un jour proche, vous pourriez travailler pour le Gouvernement, sans compensation financière...


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1.     Comme exemple de mauvais usage des données des clients de détaillants :

  • Démarchage non sollicité, auprès de clients commerciaux des fournisseurs de matériaux de construction inclus dans des listes totales
  • Augmentation importante du nombre de requêtes d'informations à traiter par les entreprises, non seulement pour le fisc fédéral, mais par la suite au fisc des provinces
  • Vente (inévitables fuites) de listes et données par des fonctionnaires ou employés de sous-traitants du fisc (ex. informaticiens) ou par piratage informatique; listes achetées ou volées pour espionnage commercial et industriel, ou si étendu à tous les clients, vente ou piratage de listes pour des vols d'identités. 
  • Les comptes contiennent trop souvent des informations comme les numéros de permis de conduire et d'assurance santé et les numéros d'assurances sociales qu'on ne devrait jamais fournir à une autre personne qu'à un employeur ou au fisc, et du même genre. Arrêtez de fournir ces numéros personnels à des commerçants et détaillants. C'est à eux de vous créer un identifiant après avoir validé vos informations.
  • Le risque d'acquérir illégalement ces listes informatisées et centralisées en un seul point (piratage informatique), en vue des les utiliser et même déformer l'information pour sous-entendre (suggérer des choses) pour nuire à un adversaire commercial, professionnel, ou encore en politique lors d'une course électorale, par exemple.
  • Évidemment, dans la logique, l'élargissement de la décision aux requêtes visant au départ tous les clients commerciaux, étendue par la suite à tous les clients non commerciaux dans d'autres enquêtes d'évasion fiscales et impliquant tous les fournisseurs, comme les banques (application élargie sur la base du jugement en faveur du fisc que pourrait livrer la Cour suprême). Il faut rappeler que dans les enquêtes habituelles, les demandes d'information ciblent des suspects précis pour lesquels on a déjà des doutes sérieux, et non des informations sur l'ensemble des clients.