jeudi 24 septembre 2015

Jérémy Gabriel contre Mike Ward: Peut-on tout dire au nom de l'humour et de la liberté d'expression?

OU le syndrome de Mike Ward 


Mike Ward est «tumorist» (tumor = tumeur). Jérémy, jeune handicapé (18 ans, automne 2015), est atteint du syndrome de Treacher Collins. Ceci lui amène entre autres,

  • une malformation au niveau de la boîte crânienne. 
  • Cela peut amener aussi une déformation au niveau de la voix. 
(dernière modification : 27 février 2016)
Jérémy est devenu relativement connu au Québec. Enfant, il a obtenu une audition auprès du pape Jean-Paul II. Il rêvait de chanter devant le public, un jour. Après tout, cela avait bien fonctionné pour Céline Dion, au grand désarroi de Madonna... Sauf qu'entre le rêve d'enfant et la réalité, le canyon de la vie fait souvent beaucoup de victimes.



Jérémy Gabriel, atteint du syndrome de  a été porte-parole des Hôpitaux Shrinners pour enfants.


Quand Jérémy entre à peine dans l'adolescence, il retient l'attention de Ward, qui pratique un humour trash (humour poubelle)



Non, ce n'est pas un personnage-figurant de la série Bob L'Éponge. Ce n'est que Mike Ward. Crédits photo: extrait de  Le Soleil / La Presse, 22 septembre 2015


Tout est dit, en cet extrait de témoignage devant la procureure de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) où Jérémy décrit ce qu'il a vécu au début de son adolescence:
«Ça m'a blessé de voir qu'on pouvait rire de mon handicap. J'étais dégoûté que pour [Ward], c'était une forme d'humour. [...] La vidéo me blessait et me dénigrait. Ça m'a mis dans la tête que ma vie ne valait pas grand-chose. Pendant deux ans, je ne voulais plus sortir de chez moi, je ne voulais plus chanter, je ne voulais plus exister» (Le Soleil / La Presse, 22 septembre 2015)

Alors que Jérémy est encore d'âge mineur, Mike Ward, l'humoriste «trash» (en français devrait-on les nommer «tumoristes», "tumor" = tumeur?) se concentre sur son cas en 2010 dans ses spectacles et sur le web. En bref, Ward prétend dans sa mise en scène (monologue d'humour trash) avoir défendu le petit Jérémy dont la tête était, dit-il, comme un «subwoofer». Il dit (propos fictifs du spectacle) avoir adopté, à répétition, la défense suivante: de le laisser vivre son rêve d'enfant malade; qu'il va mourir. Les années passent. Même défense. Mais il se rend compte, cinq ans après la visite à Rome, que le jeune ne meurt pas et qu'il ne chante pas bien. Dans son monologue sur la scène, exaspéré, il demande sa mort, pour respecter le pacte de sa défense:

«Moi j'te défends, toi tu crèves!» Son public alternatif à la conscience en forme de trou de beigne (1) se bidonne. Ward aurait aussi ri de Jérémy sur le web, avec une figurine représentant l'adolescent handicapé. La caisse de l'humoriste teinte à mesure que l'argent s'y engouffre. Mais Jérémy ne touche pas 1 dollar, il ne touche que le fond... À l'hiver 2012, il pense mettre fin à sa vie.

Jérémy souffre avec sa famille. Il ne comprend pas au départ, prétend-il, pourquoi certains jours précis, son compte Facebook se remplit de commentaires haineux, voire des invitations à disparaître. Vérification faite, ces rafales d'insultes correspondaient aux spectacles de Ward. 

Une amie de Jérémy a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne, selon un extrait Facebook sur la page du journal Le Soleil (version web). 

Source : Le Soleil / La Presse, 22 septembre 2015

Argument de la défense

Mike Ward, dans sa défense, s'appuie sur son style d'humour et sur la liberté d'expression... Car il dit avoir ri également de plusieurs autres intouchables dans la même tournée de spectacles, à l'époque. 

Je ne sais pas, mais à sa place je pense que j'aurais fait un généreux chèque, hors-tribunal...

Et le gagnant sera...


Probablement que Jérémy va gagner sa cause (déposée par une amie) au moins sur un point (mais probablement pas sur la carrière avortée). On ne peut que lui souhaiter, d'autant plus qu'il était d'âge mineur, et qu'aucune entente ne le liait à l'humoriste. De dire publiquement devant des salles pleines, même au nom d'un prétendu humour et de la liberté d'expression, qu'une personne devrait crever est une agression, voire une incitation à la violence, même si l'intention n'est pas là. Il n'a pas besoin non plus d'être conscient de la souffrance qu'il cause.

Seule exagération de la poursuite


La seule chose que je trouve exagérée dans  la poursuite (ou peut-être deux) c'est:

Premièrement, la compensation demandée. 80,000 dollars canadiens (env. 60,000 $ US, sept. 2015), ce n'est pas assez élevé! Et ce n'est pas de l'ironie. Cela vaudrait probablement le triple.

Deuxièmement, c'est la prétention à une carrière brisée (selon l'article du journal). Ça c'est moins certain. Si c'est ce que voulait dire Mike Ward, il s'y est mal prix, car le remède (mépris envers un jeune d'âge mineur et non professionnel) était pire que la réalité: il incitait à dire que la vie d'un enfant handicapé qui profite d'une fenêtre médiatique ne vaut rien. Plusieurs autres auront compris le même message qui revient à dire: reste dans ton sous-sol ou crève. Mais il faut faire face à la réalité. Des enfants qui chantent bien et moins bien, il y en a plusieurs milliers au Québec. Bien peu vont en vivre. Il suffit de regarder une saison de La Voix (The Voice) pour s'en convaincre... Les débuts sans issue sont légion et les non-débuts, ne se comptent pas. Jérémy a eu une fenêtre en raison surtout de son handicap.


  • Lien vers la vidéo 
Où les commentaires postés sur Youtube par la meute de Ward défendent l'humoriste dans l'humour aux dépens du jeune handicapé. Il ne faut pas avoir d'enfant pour en faire partie. Dans le cas contraire, c'est inquiétant... 
Vidéo Youtube : https://youtu.be/zYrsECWQuM8


  • Compte Facebook de Jérémy (âgé de 18 ans en automne 2015):


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1.  Syndrome de Mike Ward (fictif): Dysfonction des émotions selon laquelle les fans d'humoristes trash ou «tumoristes», n'éprouvent pas d'empathie, de compassion. La maladie rend incapable de se mettre à la place de l'autre et de voir qu'il peut avoir des besoins et souffrir, même lorsqu'il s'agit d'un enfant. Individuellement, les personnes atteintes du syndrome peuvent sembler tout à fait normales. En groupe, elles adoptent un comportement tribal d'agresseurs.